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retomba pesamment. Et ce geste signifiait clairement :

— À quoi bon ?

Le saltimbanque i’interpréta ainsi, car il répondit :

— C’est histoire de causer, parce que ça n’est vraiment pas banal ce petit brin de conversation avec un citoyen de ton espèce. Et il faut que je sois bien sûr d’être dans mon état normal — à telle enseigne que le gosier me brûle faute d’avoir été humecté ce matin — sans quoi, je croirais que je rêve et que c’est le fils de mon père qui bat la campagne. Je ne sais pas trop comment les types instruits expliqueront ça, mais je me doute bien qu’ils auront de la peine à me croire et que, même, si tu ne réitères pas devant eux, c’est Godolphin qui sera traité de fumiste.

Ce problème zoologique devait solliciter à l’extrême sa curiosité et son attention, car il s’y absorba un long moment, chose qui lui était tout à fait inhabituelle.

— Je sais bien, rêva-t-il tout haut, que des farceurs prétendent que nous descendons du singe. Alors, tu serais comme qui dirait mon grand-père. Et même, comme tu es perfectionné — qui sait ? — tu es peut-être en train de devenir ton petit-fils. Les poils te tomberaient un beau matin et ta peau blanchirait que ça ne m’étonnerait pas outre mesure.

Il hocha gravement la tête, un peu étourdi par les spéculations dans lesquelles il s’engageait.

— Oui, mais voilà… fit-il soudain, en regardant le gorille avec la mine triomphante de quelqu’un qui va poser une objection irréfutable, voilà… il y a un cheveu ! Pour être tout à fait un homme, il te manque la parole. Si tu en avais été un comme tu t’imagines, tu parlerais. Tu écris bien !

L’argument parut avoir porté. Une ombre soucieuse voila le regard du gorille. Il baissa