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faculté de voir… Mais, ma tête est fixe. Je ne puis bouger. Je vois mal et trouble.

« Cette période est indéfinie : rien ne la sépare de la suivante, où j’ai, enfin conscience d’exister réellement. Cela arrive un jour, tout à coup. Je sais — je sens — que les objets sont redevenus réels et que je pourrais les toucher.

« C’est fini, je ne dors plus ; je vois et j’entends.

« Je suis vraiment couché ; dans un lit : je sens sous moi la mollesse des matelas et des oreillers, sur moi la chaleur et le poids des couvertures. Malade ? Oui : mon crâne est entouré de linges. Où ? J’aperçois le plafond, du soleil par une fenêtre, des meubles… Rien de familier. Je ne sais pas où je suis.

« Je reste ainsi, longtemps sans doute. Parfois, je bois — on me fait boire — machinalement. Je dors ; je me réveille ; je dors encore. Mes sensations tournent en rond ; c’est insipide. Des doigts frôlent mon front douloureux. On me remue. Je grogne. Quelqu’un se penche sur moi. Mon regard immobile est croisé par d’autres regards. C’est bref et vague. Cela m’est indifférent.

« Un jour j’essaie de reconnaître les yeux. Je ne les reconnais point.

« Alors, on parle, tout près de moi. Une voix murmure :

« — Il est guéri.

« Puis, des chuchotements, ils s’éloignent. Le silence m’enveloppe. Ma pensée répète, obstinée, fatigante :

« — Guéri… Je suis guéri…

« Et je comprends. Je suis guéri. Je vis. Je dois pouvoir penser et bouger. Je veux penser, voir où je suis, me redresser.

« Mais pourquoi ne puis-je pas remuer ? Ma tête seulement est libre ; tout mon corps semble attaché au lit, mes bras collés à mes côtés.