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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/179

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LA LUXURE DE GRENADE

emportées, ni ces actions accomplies au bon moment et qui versent l’oubli aux amants ulcérés.

Quand la lune fut haute dans le ciel, l’Émir eut envie de respirer et il marcha sur la terrasse de la chambre où Isabelle, parmi les coussins, goûtait un sommeil durement gagné. Il était comme un homme qui a bu un mélange d’opium et de nepenthès. Il se sentait étrangement léger.

De l’endroit où il était accoudé, il voyait une porte qui donnait sur la cour des Lions. Des esclaves y passaient, portant des corps. Mais ils semblaient se mouvoir très loin, dans un monde lunaire auquel il était absolument étranger. Ces esclaves accomplissaient des tâches qui ne le regardaient en rien.

À la fin, il vit une silhouette tellement haute qu’il se demanda quel était ce personnage disproportionné qu’il ne connaissait pas. Cette silhouette était celle du Hagib. Son visage était plus jaune qu’à l’ordinaire. Il mesurait avec désespoir les drames qu’allait engendrer la folie de l’Émir, il souffrait de l’injustice commise.

Enfermé dans ses pensées, il traversa la cour et s’avança, sans le voir, vers le balcon où l’Émir était accoudé. À chaque pas qu’il faisait, tout droit dans sa robe noire, il grandissait démesurément aux yeux d’Abul Hacen. Il grandissait comme le devoir méconnu, les charges du royaume, les effets inexorables des mauvaises actions. C’était un géant maigre et noir que ce triste Hagib méditant dans la nuit de l’Alhambra et Abul Hacen, épouvanté, se hâta de rentrer dans la chambre d’Isabelle.