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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/262

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LA LUXURE DE GRENADE

incommodé. Dans le tréfonds ignoré de son âme venait d’apparaître une lointaine pensée. Il pressa le pas.

Une espèce de mélopée retentit non loin de lui. Il perçut un homme prosterné touchant de son front la terre qui recouvrait les morts. Il gesticulait avec ses bras en chantonnant plaintivement. C’était le derviche Massar. Enivré par la foi qu’on avait en lui, il prétendait maintenant communiquer avec les morts et recevoir des messages d’eux. Chaque soir il les appelait sur ce charnier, il récitait des formules, il les suppliait et les menaçait tour à tour.

Almazan ne s’arrêta pas, il se hâta vers sa demeure comme s’il y était tiré par une invisible chaîne. Quand il en ouvrit la porte, son visage était animé par une froide résolution.

Isabelle était au bas de l’escalier. Elle eut un mouvement d’effroi en le voyant et Almazan comprit à son regard qu’elle était au courant de la mort de Tarfé, soit qu’elle eût assisté à la lutte de sa fenêtre, soit qu’elle fût descendue dans le jardin après son départ.

Il referma la porte d’entrée à clef et il la vit s’enfuir dans l’escalier, vers sa chambre.

Il descendit dans le jardin jusqu’à l’endroit où Tarfé gisait à la même place. Il le chargea sur son dos, il descendit pesamment vers la mer et déposa le corps dans sa barque. Il y monta et rama de toutes ses forces. Quand il fut à une certaine distance du rivage, il fit basculer le mort dans la mer et il eut la sensation de le tuer une deuxième fois. Il ne percevait qu’à demi la réalité des choses. Il était comme