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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/313

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LA LUXURE DE GRENADE

Et l’apparition de Jésus se matérialisa alors pour beaucoup d’yeux, et Almazan, dont le tour venait de gravir le Quemadero et d’être attaché au poteau du bûcher, pensa à l’autre Christ, celui qui ne recevait pas en holocauste la fumée de la chair grillée, à l’Essénien vêtu de blanc qui, selon la tradition, s’était écrié au moment de mourir :

— Ô mon Dieu, vous m’avez abandonné !

À côté de lui, le dominicain découragé répétait machinalement :

— Repentez-vous ! Confessez-vous à moi !

Les bourreaux saisirent Almazan des mains des Familiers, le hissèrent et voyant l’état de ses pieds, l’accrochèrent par des cordes avec assez de soin pour qu’il n’eut pas à reposer sur ses jambes, lui épargnant ainsi une atroce douleur dernière.

Le cœur d’Almazan se brisa pour cette unique marque de pitié, que lui apportait la terre en fureur. Il aurait voulu remercier les bourreaux, mais ils s’étaient déjà accroupis à quelque distance pour le regarder brûler, ignorants de leur propre pitié.

Alors, comme s’il cherchait un point d’appui avant de s’élancer dans l’inconnu, Almazan jeta un regard sur la foule qui fixait sur lui ses milliers de regards.

Et dans ces quelques secondes, au milieu de l’extraordinaire paysage de flamme que formait la place San Fernando, tandis que commençaient à crépiter les bûches dans les flancs du Quemadero, il vit enfin le visage d’un homme dans le cercle hallucinant des mauvais Christs.

C’était Rosenkreutz tel qu’il l’avait vu en rêve à Malaga, avec un sac attaché à son dos par des cour-