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liv. ier.
AGRICULTURE : OPERATIONS AGRICOLES.

pour aller fouiller la terre qu’ils savent en contenir et bouleverser les céréales qui y sont ensemencées ; je citerai encore le fenouil d’eau (Phelandrium aquaticum), que les vaches mangent volontiers, ainsi que la brouille (Festuca fluitans)[1] ; enfin diverses espèces de souchets et de joncs, parmi lesquelles plusieurs peuvent alimenter le bétail, toutes fournir de la litière, quelques-unes servir dans les arts pour faire des nattes ou des paillassons, garnir des chaises, etc. Nous ne pouvons entrer dans des détails circonstanciés sur le meilleur système d’administration de ces terrains, non plus que sur les précautions sanitaires les plus importantes ; cela nous mènerait trop loin.

B. Marais proprement dits.

Les marais peuvent être de diverses nature : argileux, sablonneux, calcaires, mixtes ou tourbeux. Nous n’avons à nous occuper ici que des terrains de la dernière espèce ; les autres, une fois desséchés, rentrent dans l’ordre des cultures ordinaires, avec cette modification, toutefois, que les détritus végétaux dont ils sont couverts conservent une certaine acidité qui tromperait les espérances de l’agriculteur s’il avait pu penser que ces détritus fussent un humus de la même nature que celui des bois ou prés desséchés. Les engrais calcaires, quelques autres agens physiques et chimiques sagement et économiquement employés, pourront diminuer et même faire disparaître à la longue cette acidité que leur état prolongé de submersion leur a fait contracter.

Mais si le sol est tout-à-fait tourbeux, ce n’est qu’à la longue et par un traitement approprié à sa nature qu’il peut être rendu apte à nourrir un petit nombre de végétaux d’abord, et devenir ensuite avec le temps susceptible des plus riches cultures, la luzerne, la garance, la betterave.

Lorsque sous la couche tourbeuse on trouve de la bonne terre, ce qu’il y a de mieux à faire c’est d’exploiter la tourbe pour alimenter les foyers ou les usines du voisinage, s’il y a une consommation suffisante. On connaît les procédés d’extraction, la fabrication des mottes, etc., nous n’en parlerons pas, mais nous devons mentionner le procédé pour carboniser la tourbe introduit dans les marais de Bourgoin par le général Evain, aujourd’hui ministre de la guerre en Belgique, alors employé de M. Lapierre, adjudicataire de ces marais. C’est une sorte d’alambic à l’aide duquel on sépare, de la tourbe par la distillation, la partie bitumineuse, et l’on convertit le surplus en morceaux de charbons propres à être employés dans les fabriques d’acier, comme le goudron obtenu peut l’être dans la marine. Il existe aux environs de Paris (à Croï) un grand établissement où ce procédé est, dit-on, en pleine activité. (Voir le livre des Arts agricoles, où cet objet sera traité dans un article spécial.)

Comme on n’a pas toujours à sa portée une ville où le besoin de combustibles fasse rechercher la tourbe, et comme d’ailleurs, même dans ce cas, il serait la plupart du temps trop long d’attendre la consommation de toute la couche tourbeuse pour tirer du sol un produit agricole, il faut tâcher de faire croître une végétation avantageuse sur ces tourbes elles-mêmes. Le plus simple de tous les moyens, c’est de les rendre à l’état marécageux ; mais, outre que le produit des marais est bien mince, ce serait perpétuer des foyers d’infection. Il vaut mieux, quand on est convenablement placé pour cela, recourir au moyen employé par les Hollandais dans plusieurs de leurs principaux polders. Le sol est divisé par de larges fossés en lanières étroites et longues, légèrement relevées en ados sur le milieu. Chacune de ces lanières reçoit au printemps et jusqu’à l’automne le nombre de bœufs ou de vaches qu’elle peut nourrir ; ces animaux n’en sortent ni nuit ni jour, ils se gardent seuls, grâce à la largeur des fossés dont le fond vaseux est un obstacle suffisant pour les vaches de ce pays naturellement paresseuses et sédentaires, accoutumées d’ailleurs par des corrections et des entraves à ne pas sortir de leurs domaines respectifs, où du reste elles se trouvent trop bien pour tenter fortune ailleurs. Chacune de ces lanières contient de 3 à 4 et jusqu’à 7 et 8 vaches, d’après son étendue et d’après la plus ou moins grande abondance et la qualité de l’herbe. Les propriétaires soigneux font épargir fréquemment la fiente de ces animaux, afin qu’il ne se forme pas d’inégalités et que le sol soit uniformément amendé partout ; ils font aussi arracher les chardons avec un échardonnoir, espèce de grandes tenailles en bois, très-commode pour cet objet (fig. 135).

  1. « Un étang brouilleux de 6 hectares et demi peut nourrir parfaitement 40 têtes de gros bétail depuis le commencement du printemps jusqu’au milieu du mois de mai, et depuis la fin d’août jusqu’aux premiers froids. Au milieu de l’été les feuilles continuent à tapisser la surface des eaux, mais le bétail a cessé d’en être avide » (Statistique de l’Ain, p. 536.)