Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/260

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vent lieu à des procès dans lesquels les propriétaires succombent, parce que les apparences ne donnent que trop souvent gain de cause aux meuniers. Faisons des vœux pour qu’une législation prompte et précise, dégagée de ces vaines formalités de procédure, juste effroi des propriétaires, détermine d’une manière positive la jouissance des eaux, et concilie l’intérêt de la propriété et celui des usines ; car souvent les chicanes que suggèrent l’égoïsme, l’envie et la cupidité, sont plus difficiles à vaincre que les difficultés du terrain. L’ancien parlement de Douai avait successivement établi des réglemens de police très-remarquables sur l’usage des eaux.

On doit en second lieu s’appliquer à bien connaître la quantité d’eau dont on peut disposer dans les diverses saisons de l’année, et prendre pour mesure celle que l’on conserve ou que l’on a à sa disposition dans la saison la plus sèche ; calculer si elle est en rapport avec l’étendue de terrain que l’on se propose d’irriguer.

Enfin, lorsqu’on est assuré de la jouissance paisible des eaux, il faut savoir si l’on pourra les faire écouler aussi promptement qu’on les a introduites ; car, si l’on ne pouvait les égoutter complètement, on pourrait craindre de transformer sa prairie en marais.

Le cultivateur qui projette des améliorations fondées sur les irrigations doit donc agir avec beaucoup de circonspection avant de mettre la main à l’œuvre ; il doit prendre tous les niveaux dans les diverses directions et à différentes reprises, s’orienter de la manière la plus exacte sur toute la contrée, pour déterminer avec précision les quantités d’eau que cette contrée peut et doit réunir, quelle en sera la direction la plus favorable, etc. C’est à la fonte des neiges surtout qu’il est important d’examiner les parties du terrain sur lesquelles se dirigent les cours d’eau ; lorsqu’il est sablonneux, des établissemens de ce genre donnent la facilité de faire transporter par l’eau des terres dans les bas-fonds et de former ainsi une surface unie d’une inclinaison appropriée à l’irrigation.

Quelque sentiment de pratique que l’on ait acquis dans ce genre, par une longue habitude dans ces travaux, il ne faut jamais s’en reposer sur elle ; il faut au contraire, avant d’en venir à l’exécution du plan, vérifier chaque opération de nivellement par sa contre-épreuve, c’est-à-dire en le recommençant là où l’on a fini la première fois. On se convaincra alors combien l’œil peut être induit en erreur, et l’on verra la possibilité de conduire l’eau sur des hauteurs qu’on avait jugées plus élevées qu’elle, et vice versa.

Il ne suffit pas de s’assurer de la hauteur des lieux où l’on se propose de conduire l’eau, il faut encore connaître celle des places où l’eau doit passer. Il faut éviter les places basses autant que possible, dût-on même faire des détours considérables. Quelquefois, pour conserver l’eau à hauteur, on n’a d’autres moyens que de la faire passer sur des conduits élevés, formés avec de la terre ou avec les matériaux le plus à portée, un canal de bois, d’argile, une arcade en maçonnerie avec un aquéduc, lorsque l’eau doit passer sur un terrain profond, un enfoncement, ou même par dessus un autre cours d’eau. Il faut toutefois comparer l’avantage à obtenir avec le prix de revient de l’eau.

Après s’être assuré des niveaux, la première chose qui doit attirer l’attention, c’est d’apprécier la quantité d’eau que l’on peut se procurer, afin de donner au canal principal les dimensions convenables. Quoique la quantité d’eau dont on peut disposer soit petite, on peut cependant en tirer un grand parti ; pour cela il ne faut que lui donner l’emploi le plus économique, et la reprendre ou s’en rendre maître dès qu’elle a produit son effet, et la verser sur une place inférieure, et ainsi de suite ; mais cette pratique demande beaucoup d’attention pour donner à chaque portion de terrain une pente suffisante pour que l’eau s’étende sur toutes les places où cela est praticable et perde le moins possible de sa hauteur. Il est difficile de dire quelle étendue de prairie peut être arrosée par une quantité déterminée d’eau puisque les terres en retiennent plus ou moins, et que les pentes varient à l’infini. Cependant on estime en moyenne que 70 à 90 mètres cubes d’eau, employés journellement, peuvent arroser un demi-hectare.

Les fontainiers mesurent la quantité d’eau par pouces, c’est-à-dire, par ce que laisse écouler un trou cylindrique d’un pouce de diamètre, lorsque l’eau se maintient à un niveau constant d’une ligne au-dessus du bord supérieur de ce trou ; cette quantité est égale à 20 mèt. 584 cubes par 24 heures. Pour profiter de ces données et les appliquer à la mesure de l’eau, il suffit de l’arrêter avec une planche percée d’une file de trous d’un pouce de diamètre qu’on bouchera et débouchera à volonté.

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§ ii. — Du canal principal ou canal de dérivation.

Le canal de dérivation est destiné à recevoir les eaux dérivées ou détournées d’un cours d’eau, et à les conduire sur les parties les plus élevées de la prairie, pour les répandre ensuite sur sa surface. Son tracé est naturellement jalonné par les positions des points les plus élevés du terrain à inonder.

Sa pente doit être très-ménagée ; trop forte, les eaux y acquerraient trop de vitesse, elles ravineraient le canal ; trop faible, les eaux ne joueraient pas avec assez de facilité et pourraient y rester en stagnation. La pente la plus avantageuse paraît être dans les limites de 2 à 4 millimètres par mètre.

Les diverses dimensions du canal seront proportionnées au volume des eaux qu’il doit recevoir ; ses bords seront établis en talus d’autant moins rapides que le terrain aura moins de consistance ; dans ceux d’une consistance moyenne, ces talus devront avoir au moins un mètre et demi d’évasement pour un mètre de profondeur. Le canal de dérivation étant construit, dans les cas les plus ordinaires, on y fait écouler les eaux de la rivière ou du ruisseau, au moyen d’un barrage