Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/271

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au hasard, à la surface du globe, des pâturages naturels qui dispensaient de pourvoir autrement à leur nourriture ; que leur propriétaire, rassuré a cet égard, ne cultivait pour lui qu’une faible partie de ses vastes domaines, toute sa science consistait à choisir des terres neuves, fécondes, qu’il abandonnait à un long repos après en avoir tiré quelques récoltes, et l’art de la culture n’était pour lui que celui du labourage.

Plus tard, lorsque la propriété commença à être divisée, pour subvenir aux besoins croissans de la population, force fut bien d’étendre proportionnellement les cultures alimentaires, et par conséquent de les ramener plus souvent à la même place. — Aux labours il fallut joindre les engrais ; et, comme on reconnut encore leur insuffisance, on ne trouva rien de mieux que d’obtenir autant de récoltes successives que le permettait la fertilité du sol, et de le laisser ensuite plus ou moins longtemps inculte. C’est ainsi que s’établirent sur une grande partie de l’Europe l’assolement triennal et quelques autres dans lesquels des céréales succèdent invariablement à des céréales et sont suivies d’une jachère plus ou moins prolongée.

Jusque là à peine se doutait-on de la théorie des assolemens. Les prairies naturelles et les pâturages sur jachère continuaient à former toute la nourriture des bestiaux. On ne cultivait que par exception un très-petit nombre de plantes fourragères, comme s’il eût été déraisonnable ou sans profit de demander au sol des récoltes qui ne fussent pas immédiatement utiles à l’homme ; comme si toute autre plante que celle dont on obtenait directement le prix en argent ne méritait pas les soins du laboureur.

L’introduction des prairies artificielles fut presque partout le premier pas vers un meilleur système. — Les cultures sarclées, binées ou butées vinrent ensuite. — On s’aperçut que toutes les récoltes n’étaient pas également épuisantes ; que toutes ne se succédaient pas avec un même succès ; que telles pouvaient revenir plus fréquemment que telles autres sur le même terrain, etc. Une science nouvelle se déroula aux yeux du cultivateur, et, tandis que la pratique lui en dévoilait en partie les principes, l’observation plus attentive des phénomènes naturels acheva de les lui révéler.

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§ ier. — Théorie chimique des assolemens.

Quoique les végétaux qui vivent en famille, c’est-à-dire groupés en masse homogène, ne soient pas très-communs à la surface du globe, on voit cependant diverses espèces envahir à elles seules des terrains entiers et s’y maintenir plus ou moins longtemps sans mélange d’autres espèces. Mais, tôt ou tard leur végétation devenant moins vigoureuse, des plantes différentes commencent à se montrer parmi elles, bientôt elles se trouvent dominées et souvent entièrement détruites. — On a cité plusieurs exemples semblables pour des plantes herbacées, dans la nature inculte. — Nous en trouvons fréquemment dans nos pâturages et nos prairies naturelles. La qualité des herbages y change, pour ainsi dire, sans cesse : ici le trèfle rampant (Trifolium repens), la lupuline (Medicago lupulina) et quelques autres légumineuses succèdent spontanément aux graminées ; — là ce sont diverses renoncules (Ranunculus acris, bulbosus, arvensis), ailleurs la jacée des prés (Centaurea jacea), la mille-feuille (Achillea millefolium), l’oseille (Rumex acetosa), etc. — Il serait facile de multiplier beaucoup de semblables citations, et, si l’on étudiait les générations successives de ces plantes usurpatrices, la courte existence d’un homme suffirait parfois pour les voir abandonner à leur tour au profit de quelques autres les terrains dont elles s’étaient emparées.

Dans certaines contrées il ne serait pas impossible de constater que les végétaux destructeurs des moissons alternent sur le même sol, et quoique plusieurs causes autres que celles qui nous occupent ici puissent concourir à ce résultat, il y a tout lieu de croire qu’il est du, en grande partie, au besoin de productions variées.

Les arbres eux-mêmes obéissent à la loi des assolemens. À côté des importans écrits des Bosc, des Touin, des Soulange Bodin, des Dureau de la Malle et de plusieurs autres, les observations publiées par M. Thiebault de Berneaud ne doivent laisser aucun doute à cet égard.

En 1746, rapporte-t-il un immense incendie dévora en partie la forêt de Château-Neuf (département de la Haute-Vienne) ; cette forêt était en essence de hêtre. Plus de cinq hectares que le feu avait entièrement consumés se couvrirent spontanément, les années suivantes, d’herbes et de broussailles, à travers lesquelles s’élevèrent un peu plus tard une infinité de petits chênes. — En 1799, les bois de Lumigny et de Crecy (Seine-et-Marne) ayant été exploités, le hêtre, qui en faisait également la base, se trouva remplacé, sans le secours de l’homme, par des framboisiers, des groseilliers, des fraisiers, des ronces, puis des chênes, aujourd’hui en pleine végétation. — Une semblable remarque a été faite à des époques différentes dans les forêts qui couronnent les bords escarpés du Dessombre, petite rivière dont les eaux vont se perdre dans le Doubs à St.-Hippolyte. Ces forêts sont composées d’arbres de hautes-futaies, principalement de hêtres. Lorsqu’une coupe a été faite, on voit bientôt l’emplacement découvert s’orner d’une infinité de framboisiers qui fournissent pendant 3 ou 4 ans une abondante récolte de leurs fruits succulens. À ces arbrisseaux succèdent des fraisiers, et à ceux-ci la ronce bleue, enfin les pousses de nouveau bois mettent un terme à cette succession de rosacées. — Après toutes les coupes de forêts de hêtres qui ont lieu sur le Jura, particulièrement au revers du Mont-d’Or, les groseilliers paraissent les premiers, les framboisiers occupent ensuite le sol pendant 3 ou 4 ans, puis les fraisiers deux années, et la ronce bleue de 8 à 10 ans ; enfin revient le hêtre ou apparaît le chêne. — Trois espèces de coupes se succèdent dans le même triage de la forêt de Belesme, près Mortagne (Orne). La première a lieu sur un