Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/278

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autre manière, il est devenu facile d’établir de bons assolemens. Depuis fort longtemps, on cultive de la luzerne, du sainfoin et surtout des vesces et des orges coupées en vert, dans nos départemens méridionaux. Toutefois, le premier de ces fourrages, semé sur une petite étendue de terrain, plutôt comme une nécessité, pour avoir quelque peu de bonne nourriture à donner aux brebis nourrices ou aux bêtes de travail dans les temps de travaux, que pour arriver à un système d’assolement général, ne donne pas la moitié des produits qu’on en retire dans le nord et le centre ; — le sainfoin, cultivé surtout dans la vallée du Gardon où l’on prolonge sa durée autant que possible, et jusqu’à ce qu’il soit remplacé en grande partie par les graminées vivaces, parcourt peu-à-peu les différentes parties du domaine dont il occupe à peine le huitième ou le dixième de la surface, parce que les sécheresses du printemps rendent la récolte presque nulle un an sur trois au moins ; plusieurs années se succèdent même trop souvent sans qu’on en obtienne aucun produit, et dans tous les cas le maximum de ce produit se fait attendre jusqu’à la troisième année. — Le trèfle réussit assez ordinairement quand on parvient à le faire bien lever ; mais là se trouve la difficulté. Semé au printemps sur le blé, on ne peut espérer de le voir germer que dans les années particulièrement humides ; semé en automne, les froids de l’hiver le détruisent dans ces climats sans neige plus souvent encore que dans les contrées du centre ; — le trèfle incarnat semble admirablement constitué pour le midi, mais, outre qu’il exige un terrain assez riche pour prospérer, au lieu de lui donner de la fertilité il l’épuise au point d’être suivi d’un blé très-médiocre. Enfin, dans beaucoup de lieux il est entièrement dévoré par les limaces. — Les raves ne peuvent être cultivées en seconde récolte à cause des sécheresses estivales et des ravages des insectes ; semées au printemps, elles n’ont pas le temps de grossir ; — la pomme-de-terre donne rarement une pleine récolte, parce que la fraîcheur lui manque pendant sa croissance. — Enfin, on peut dire d’une manière presque absolue que toutes les plantes à végétation printanière ne réussissent en quelque sorte complètement que dans des cas d’exception. Or, si l’agriculteur doit nécessairement s’attendre à être frustré quelquefois de ses espérances par des saisons extraordinaires, peut-on espérer qu’il luttera sans cesse contre l’ordre naturel de son climat, quand il n’aura que ces mêmes saisons extraordinaires pour chance de réussite ? — Dans le midi, pour changer la face de l’agriculture, il faudrait donc trouver des plantes dont la végétation eût lieu en automne, pendant la saison pluvieuse. — Nous verrons que les carottes et surtout les betteraves, qui remplissent au besoin cette importante condition, ont déjà rendu et sont, je crois, appelées à rendre d’importans services.

Dans les climats a pluies printanières, les ressources du cultivateur sont incontestablement beaucoup plus grandes. Si l’olivier, la vigne et même le mûrier ne lui présentent plus les moyens de supprimer sans labour les stériles jachères, et de retirer du sol, à peu de frais, de précieuses récoltes ; d’un autre côté, il peut étendre à son gré les prairies ou les pâturages naturels : sauf le cas où la nature du sol s’y oppose il peut multiplier a son gré les prairies artificielles et varier leur succession de la manière la plus avantageuse pour ajouter à leur produit et augmenter celui des cultures suivantes ; enfin, il peut les intercaler non seulement aux céréales, mais à la plupart des végétaux les plus recherchés par leurs qualités nutritives ou leurs propriétés dans les arts.

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§ vi. — Influence de la consommation locale.

J’ai dit qu’après la connaissance du sol et du climat dont je crois avoir assez fait sentir l’importance par les exemples précédens, on devait aussi prendre en considération les besoins de la consommation locale. Cette proposition n’a guère besoin de développemens. Il est tout simple en effet de calculer la valeur des produits d’après la facilité plus ou moins grande des débouchés, et de choisir, entre toutes les productions, celles dont la vente est le plus assurée et doit entraîner le moins de frais. Une telle question se rattache à deux autres : la proximité des populations agglomérées ou des fabriques industrielles ; — l’état d’entretien des routes et des chemins de communication. — Au nombre des frais les plus fâcheux dans une ferme bien organisée, il faut sans contredit mettre ceux de transport lorsqu’on est dans la nécessité de les trop multiplier. Si l’on considère d’une part combien le temps est précieux pour le cultivateur qui le sait employer, et combien de l’autre il est important dans diverses saisons de ménager la force et la santé des animaux de trait ; — si l’on songe que dans un pays comme celui que j’habite (Maine-et-Loire), où les journées d’hommes ne sont estimées, selon l’époque de l’année, que 20, 25 et 30 sous, les métayers, lorsqu’ils viennent faire à prix d’argent les labours des terres de la vallée, demandent au moins 12 francs pour le travail d’un jour de charrue, on comprendra combien la distance, et les moyens plus ou moins faciles de la parcourir, peuvent influer sur le genre de production qu’on doit demander au sol, quelle différence il doit exister entre un pays coupé de canaux ou de routes, de toutes parts accessible au commerce et couvert de fabriques diverses, et celui qui ne jouit d’aucun de ces avantages. — La construction d’une sucrerie de betteraves, d’une distillerie, de moulins à huile, la seule proximité d’un routoir vaste et commode pour les chanvres ou les lins, et bien d’autres circonstances analogues, peuvent changer entièrement l’aspect de l’agriculture de toute une contrée ; et déjà, depuis que l’emploi des prestations en nature a permis aux communes les plus pauvres de réparer les chemins vicinaux, on peut juger de l’avenir que préparent aux départemens arriérés de la France la facilité croissante des transports et des communications.

Dans le voisinage des grandes villes où les engrais abondent, on peut se livrer avec beaucoup plus d’avantage que partout ail-