Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sans doute superflu d’ajouter beaucoup aux exemples que j’ai cru devoir multiplier précédemment, en raison de leur importance relative, et de leur plus fréquente adoption. — Les combinaisons diverses, avec lesquelles le lecteur est désormais familier, se retrouveraient toujours les mêmes ou à peu près, en des rotations plus longues. — Dans un assolement de 12 ans, par exemple, on pourrait chercher à obtenir six céréales, précédées et suivies d’un égal nombre de cultures nettoyantes ou reposantes, calculées de manière à produire la quantité de fourrages et d’engrais nécessaire, comme nous avons vu qu’on parvenait à le faire avec deux assolemens de six ans. — En 13 ans on suivrait la même marche qu’avec deux rotations de 7 et de 5 ans, etc., etc. ; cependant il ne faut pas perdre de vue que plus un assolement se prolonge, plus il est facile de varier ses élémens et d’introduire, d’une part, diverses plantes industrielles, — de l’autre, l’une des prairies artificielles les plus durables et les plus précieuses, la luzerne. — Il a été malheureusement démontré, par de nombreuses épreuves, que cette plante ne peut revenir avec un plein succès sur le même sol qu’après un laps de temps d’autant plus long, qu’elle y a précédemment séjourné plus long-temps ; aussi n’ai-je pu en parler jusqu’ici dans aucun des assolemens qui ont dû nous occuper.

Yvart pensait que l'intervalle à observer avant de faire reparaître la luzerne sur le champ qui l’a déjà nourrie, doit être égal au moins à la durée de son existence sur ce champ ; d’après ce principe, si elle occupait le sol 5 ou 6 ans, elle pourrait rigoureusement entrer dans une rotation de 10 ou de 12 ans. Je ne nie pas que dans un terrain encore vierge de ce riche fourrage, il puisse en être ainsi pendant un certain temps ; mais depuis que notre savant collègue écrivait son excellent article Succession de culture, des faits multipliés et patens sont venus attester qu’un semblable intervalle était loin de suffire dans les localités au moins où la luzerne était depuis longtemps cultivée, et l’on a dû l’augmenter du double dans la crainte de dépouiller l’avenir au profit du présent. — En bonne pratique, je crois donc qu’on ne pourra mieux faire que de se rapprocher d’un des exemples suivans : — le premier est le résultat de la longue expérience et des méditations de M. de Morel Vindé ; le second est dû aux essais multipliés et fructueux de notre confrère M. Dailly.

M. de Vindé a partagé sa propriété entière en dix soles, sur chacune desquelles il a admis un assolement de 20 ans ; tantôt à base de luzerne et de trèfle ; tantôt à base de sainfoin et de trèfle. — Sur la première sole, la luzerne commence semée avec une céréale de mars ; — elle occupe le terrain jusqu’à la fin de la 5e année. — Viennent ensuite les cultures des céréales et plantes sarclées, disposées de manière à ne demander qu’une forte fumure la 9e année, et à faire précéder le froment sur la défriche de luzerne ; de deux autres cultures au moins, l’une d’avoine et l’autre de plantes sarclées. — Le trèfle semé comme la luzerne sur la dernière céréale de mars, de l’une des rotations de 7 ans, paraît la 12e année. À l’aide d’un terreautage d’hiver et d’un plâtrage de printemps, M. de Vindé trouve de l’avantage à le conserver 3 ans, après lesquels recommence la rotation septennale avec une seconde fumure ; en tout, comme on voit, 20 ans.

Sur la seconde sole le sainfoin remplace la luzerne, mais sa durée et celle du trèfle étant les mêmes, les résultats sont aussi analogues ; seulement la première prairie artificielle ne commence que la 3e année. Dans la 3e sole elle ne vient que la 5e, et ainsi de suite, de manière qu’à la fin des 20 années toutes les soles ont passé également et régulièrement par les 3 sortes de prairies artificielles.

Par ce moyen, quoique 3/10 de la propriété soient annuellement en prairies artificielles fauchables, on voit que la luzerne, ne la fit-on pas alterner avec le sainfoin, ne reviendrait à la même place qu’après 15 ans.

Voici l’assolement que M. Dailly a adopté pour une partie de sa propriété de Trappes (Seine-et-Oise) : 1re année, luzerne plâtrée ; — 2e, 3e, 4e années, luzerne fauchée ; — 5e année, luzerne retournée ; — 6e année, avoine ; — 7e année, pommes-de-terre fumées ; — 8e année, blé de mars ; — 9e année, colza avec poudrette ; — 10e année, blé d’hiver ; — 11e année, vesce d’hiver et pépinière de colza, puis parcage ; — 12e année, avoine ; — 13e année, œillette ou racines sarclées fumées ; — 14e année, blé d’hiver ; — 15e année, racines sarclées fumées. — 16e année, blé de printemps ou d’hiver. — 17e année, colza avec poudrette ; — 18e année, blé d’hiver ; — 19e année, racines fumées ; — 20e année, avoine ou semis de luzerne.

Dans ces deux exemples, non seulement la luzerne ne revient qu’à de longs intervalles, mais on a bien soin de ne cultiver le froment sur la terre qui l’a portée que la 3e année. Cette double précaution est d’une haute importance, et je regarde comme certain, que, si on l’avait constamment prise, nous n’aurions pas été affligés tout récemment de discussions qui ne tendaient rien moins qu’à faire croire que la culture de la luzerne était nuisible à celle du froment, tandis que cette grave question, réduite à sa vraie valeur, n’était plus qu’une question fort simple de bon ou de mauvais assolement, et dont la solution si vivement contestée se retrouve, selon moi, en grande partie dans le passage suivant.

« N’allons pas, surtout par une avidité déplacée autant que par un faux calcul, vouloir exiger des récoltes de froment, avant que les détritus qu’elle (la luzerne) a laissés sur le sol soient entièrement réduits en terreau. Le volume de ses racines ; l’épaisseur du gazon, qui s’accumule toujours dans ses derniers momens, quelques précautions que l’on prenne pour s’y opposer ; le soulèvement de la terre, généralement nuisible à la prospérité du froment, enfin, la grande fécondité même, dont le sol est pourvu, sont autant de circonstances qui rendent, presque toujours, cette récolte précaire, soit en opérant le déchaussement, soit en occasionant une végétation luxuriante, toujours aux dépens de l’abondance et de la qualité du grain, vérité dont nous nous sommes trop particulièrement assurés pour ne pas y insister avec