Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/472

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bestiaux, sur les chaumes qu’ils négligent à cet effet de retourner en automne, au grand dommage de certaines terres, afin de conserver ce maigre pâturage jusqu’aux approches du printemps, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où il devient indispensable de préparer les marsages ; — ou sur la sole entière des jachères qu’ils ne commencent à labourer, par la même raison, que dans le courant de l’été, pour les semis de septembre. Je me suis prononcé ailleurs sur les tristes résultats de cette double pratique, tant à cause de ses inconvéniens relativement aux cultures suivantes, que par suite de son insuffisance pour la production du fourrage. — Cependant, dans certaines terres, il peut arriver qu’on obtienne ainsi l’année de jachère, jusqu’à la fin de juin, et quelquefois un peu plus tard, et la seconde année, après la moisson, pendant une partie de l’hiver, un pâturage qui ne serait pas à dédaigner, s’il n’entravait la marche des labours.

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§ ii. — Des pâturages d’assolement alterné.

A côté de ces pâtures-jachères de quelques semaines ou tout au plus de quelques mois de durée, on sait qu’on en rencontre d’autres de plusieurs années, qu’il faut bien se garder de condamner d’une manière aussi générale. — J’ai effleuré ce sujet en traitant des assolemens, je dois l’aborder ici d’une manière spéciale, et avec une étendue proportionnée à son importance.

Il est des herbages si heureusement situés et d’une si abondante production, qu’il ne peut, dans aucun cas, y avoir de l’avantage a les détourner, même momentanément, de leur destination.

Il en est d’autres qui, sans être aussi productifs, doivent également être conservés parce qu’on ne pourrait les remplacer plus utilement ; — d’autres enfin dont la destruction serait éminemment dommageable au terrain qu’ils recouvrent.

J’ai dû citer dans les paragraphes précédens quelques exemples qui viendraient à l’appui de la première de ces vérités, s’il était besoin à cet égard d’autres preuves que celles que chacun peut acquérir journellement chez soi ou dans son voisinage. — Quant à la seconde proposition, elle est presque aussi claire, car si, d’une part, il est des pâturages élevés, et tellement situés, que la charrue ne pourrait les atteindre, il est aussi des prés bas, humides, des terrains fréquemment couverts d’eau, qui ne pourraient changer de production qu’en changeant de nature. — Dans les contrées montueuses, peu fertiles par suite de leur aridité ou de leur nature crayeuse ; — partout où les prairies permanentes sont rares et ajoutent par conséquent d’autant plus à la valeur des terrains environnans, que les prairies artificielles y sont plus difficiles à établir et moins productives, aucun motif ne peut déterminer à rompre un herbage même de qualité médiocre. — On a vu qu’il en est encore de même dans le voisinage des cours d’eau rapides sur les terrains sujets aux inondations périodiques, d’abord parce qu’en général ces terrains sont très-productifs en herbes, ensuite parce qu’ils seraient indubitablement entraînés ou minés, si on détruisait sans réflexion la couche gazonneuse qui les protège, et qui contribue d’année en année à les élever davantage. Cette dernière considération ne se rattache pas moins aux plateaux sillonnés fréquemment par les pluies d’orages, ou les torrens occasionés par la fonte des neiges, qu’aux rives fertiles, mais exposées, des grands fleuves.

En des circonstances plus ordinaires et lorsque les herbages ne sont pas de première qualité, il peut devenir très-profitable, soit de les détruire entièrement, soit de les rendre pour un temps plus ou moins long aux cultures économiques. D’après les données recueillies dans tous les pays, il est certain que la même étendue de terrain cultivée habilement en prairies légumineuses, ou en racines fourragères, produit beaucoup plus qu’en prairie naturelle de moyenne qualité. Le résultat important d’une enquête faite à ce sujet par le bureau d’agriculture de Londres, a été qu’un acre de trèfle, de vesces, de raves, de pommes-de-terre, de turneps ou de choux peut donner au moins trois fois autant qu’un acre réservé en pâturage de médiocre valeur, et conséquemment que le même terrain, tout en nourrissant un égal nombre d’animaux, doit encore produire en sus une récolte de céréale dont la paille, soit qu’on la fasse consommer comme nourriture, soit qu’on l’utilise en litière, ajoutera nécessairement à la masse des engrais. Il résulte de là, ajoute l’auteur anglais, que, si l’on excepte de cette comparaison les riches pâturages, les terres arables sont comparativement supérieures aux prairies pour procurer des alimens à l’homme, dans la proportion de 3 à 1, et conséquemment que chaque pièce de terre laissée mal à propos en herbages naturels et dont le produit ne peut faire vivre qu’une seule personne, prive le pays de la nourriture suffisante au maintien de l’existence de deux nouveaux membres de la grande famille.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner si de semblables calculs ne pécheraient pas chez nous par exagération ; si, en admettant qu’ils fussent à peu près vrais pour diverses localités, ils le seraient également pour d’autres ; si, pour arriver à des données de quelques utilités à la pratique particulière de chacun, on pourrait laisser sur la même ligne des plantes aussi différentes par leur nature et| leurs produits que celles dont il a été parlé et dont il n’a pas été parlé ci-dessus, telles que la luzerne, le sainfoin, etc. ; enfin si, partout où la population n’est pas encore suffisante, il ne la faudrait pas porter sérieusement en décompte des produits supérieurs des prairies artificielles de courte durée, le surcroît de main-d’œuvre de l’assolement. Il nous suffira, pour le moment, de reconnaître leurs avantages sans chercher à les apprécier rigoureusement par des chiffres ; or, la question étant posée comme j’ai cherché à le faire, ces avantages me paraissent incontestables. On a cependant élevé quelques objections contre la transformation, même momentanée, des herbages permanens en terres labou-