Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/552

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feuilles d’un vert foncé comme celui de la feuille de chêne, et les tiges ternes ; l’odeur infecte et les globules se font apercevoir dans l’épi, même avant qu’il soit sorti de ses enveloppes. Quand les épis cariés se montrent, ils sont bleuâtres et étroits, mais ensuite ils deviennent plus larges que les épis sains ; leur maturité est plus hâtive, et ils se chargent d’une plus grande quantité de grains ; leur légèreté fait qu’ils restent droits. Les étamines ne s’alongent pas et les anthères ne contiennent pas de pollen. M. Tessier a trouvé fréquemment des épis sains sur des pieds qui en offraient de viciés ; des grains sains mêlés avec des grains cariés dans le même épi ; enfin quelquefois des grains à moitié sains et à moitié cariés.

Entre toutes les céréales, le froment est le plus sujet à la carie, peut-être même y est-il seul exposé ; mais toutes les espèces et variétés de froment n’y sont pas également exposées. Les blés du nord la contractent plus facilement que ceux du midi ; les blés durs, qui en général appartiennent au midi, n’en offrent point naturellement ; il en est de même des barbus, excepté celui dont les épis sont roux ou blancs et les barbes divergentes. Les épeautres en sont quelquefois perdus. Le froment de mars y est plus sujet que les blés d’automne.

Tillet et M. Tessier ont reconnu, par des expériences réitérées, que différens engrais, la nature du sol et les brouillards ne sont pas la cause de la carie ; cela n’empêche pas de croire que l’humidité de l’atmosphère et du sol ne puisse contribuera sa production. Les mêmes observateurs l’ont fait naître mainte et mainte fois en infestant de noir, nom sous lequel on la désigne quelquefois, des grains sains, et surtout en l’inoculant près du germe. On a pu obtenir ainsi une quantité d’épis cariés quatre fois plus grande que celle des épis sains ; mais on n’a pu faire naître la maladie dans les grains d’épis formés, en les saupoudrant de carie à différentes époques. Plus la carie est vieille, moins elle a d’action sur le blé nouveau ou vieux ; plus le blé est vieux, moins la carie nouvelle ou vieille l’infecte facilement ou abondamment. Elle retarde la germination et la pousse des grains qui en sont tachés. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que l’huile qu’on retire de la carie par la distillation à feu nu, ayant été mise en contact avec du blé sain, lui a fait produire près d’un tiers d’épis cariés.

Toutes choses égales d’ailleurs, plus le grain était enterré profondément, plus M. Tessier, dans ses expériences, récoltait de carie. On a aussi remarqué que les ensemencemens par un temps hâleux ou sur des labours récens favorisent sa production ; peut-être le mal, dans ce dernier cas, vient-il de ce que la herse enfonce le grain plus avant. Un observateur, M. Thomassin, assure que les fromens coupés avant leur maturité ne reproduisent pas la carie ; une expérience de M. Girou de Buzareingues tend à faire croire le contraire. Elsner lait observer que le fumier non encore élaboré par un repos prolongé l’amène très-souvent, sans doute parce que la fermentation n’y a pas détruit les sporules de l’Urédo qu’on y a jetés avec les pailles et les criblures des blés cariés.

Quand la poussière de la carie est abondante, comme elle sort de son enveloppe dans l’opération du battage, elle cause des démangeaisons aux yeux des batteurs, et les fait tousser ; en s’attachant au blé sain, elle lui donne cette apparence défavorable qu’on désigne dans le commerce par les expressions de blé moucheté, blé bouté ; elle nuit aussi à sa qualité, car les blés mouchetés empâtent les meules, graissent les bluteaux, et rendent défectueuse la mouture du blé sain qui leur succède ; de plus ils fournissent une farine terne et onctueuse qui n’est pas de garde ; enfin, le pain fait avec de la farine de blé moucheté a une teinte violette et un peu d’acreté ; on soupçonne que ce pain est malsain. Sous ces différens rapports, la carie cause un tort réel aux cultivateurs, mais peu important comparativement à la diminution qu’elle occasione dans le produit de la récolte. Cette diminution consiste non seulement dans le nombre des épis cariés, nombre qui est assez souvent le quart de celui des épis sains, mais encore, quand la maladie est intense, dans l’infériorité du poids de ceux-ci.

S’il est vrai que la carie se propage, surtout en s’attachant dans les bâtimens de la ferme aux substances qui doivent servir d’engrais et principalement aux grains de semence, il est clair qu’il faut non seulement s’abstenir de porter sur les champs des fumiers qui n’ont pas encore subi une fermentation convenable, mais encore mettre une grande attention dans le choix de la semence et la dépouiller par tous les moyens possibles des germes dont elle peut être infestée. Pour les qualités de la semence, nous renvoyons à l’article Froment où il en est question. Quant aux procédés de purification, ils sont physiques ou chimiques. Les moyens physiques consistent essentiellement dans les frictions, la ventilation et les lavages ; les moyens chimiques se réduisent à l’emploi de substances assez caustiques et assez corrosives pour altérer la poudre de la carie, sans désorganiser le grain ; les premiers éloignent, emportent avec eux les germes du mal, et les autres le détruisent.

On sépare quelquefois les épis cariés des épis sains par le triage à la main. Dans une année où les premiers ne sont pas très-nombreux, une femme épluche par jour environ 60 gerbes, donnant 1 ¼ setier de blé. Dautres fois, sachant que les tiges cariées sont plus courtes que les autres, ou se contente de couper les épis les plus saillans des gerbes, ou de frapper les tiges soit sur les parois d’un tonneau, soit sur une perche à hauteur d’appui. On a proposé de déterger le grain battu en le roulant dans de l’argile sèche, du sable, des cendres, etc. Mais les moyens mécaniques les plus employés sont le criblage et le vannage. (Voyez ce Vol., p. 342.)

En suivant l’ordre des opérations et la gradation des effets, on passe des procédés qui viennent d’être indiqués aux lavages. L’eau pure exerce deux genres d’effets : 1o elle agit par le frottement quand on la fait couler sur le blé, ou qu’on y plonge celui-ci en l’y