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chap. 13e.
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DU CHATAIGNIER.

[13.3]

Section III. — Du Châtaignier.

On ne trouve nulle part toutes les espèces de châtaigniers réunies dans un seul domaine. Chacun cultive de préférence celles qui réussissent le mieux chez lui, ou les plus précoces pour les vendre fraîches. Quelques-unes ne diffèrent que parce qu’elles ont été transportées d’un sommet aride au fond d’un vallon arrosé. On peut en énumérer une 30e de variétés cultivées dans les Cévennes, et qui ne sont désignées que par des noms du pays ; c’est celle nommée daoufinenco, l’une des meilleures et des plus grosses, et qui paraît originaire du Dauphiné, dont le fruit est connu sous le nom de marron de Lyon.

Le châtaignier est certainement indigène aux Cévennes et à quelques autres contrées de la France. Des forêts de cet arbre sont provenus les taillis exploités actuellement en coupes réglées, et sans doute aussi la culture et la greffe en changèrent d’autres en châtaigneraies dont les Cévennols apprécient bien les avantages et auxquelles ils consacrent tous leurs soins.

Les châtaigniers cultivés doivent être émondés tous les 2 ou 3 ans, dans les mois de mars et de septembre. On coupe le bois mort, les branches intérieures qui fatiguent les arbres inutilement, et les drageons qui poussent à leur pied. Quand l’arbre, déjà vieux, paraît décliner, on laisse un ou deux de ces jets pour lui succéder, et on le coupe par un temps favorable, comme bois de service s’il est sain, et pour le feu s’il est creux ou fendu. Tous les vieux arbres ne se renouvelant pas ainsi par des drageons, il faut chaque année, pour entretenir une châtaigneraie, faire quelques plantations nouvelles.

Pour faire une pépinière, on choisit des châtaignes saines et grosses, de l’espèce la plus productive, quoique cela ne dispense pas de greffer les arbres. Comme on ne les sème qu’après l’hiver, pour les conserver on fait, dans un lieu sec et au soleil, un trou que l’on remplit alternativement d’un lit de feuilles de châtaignier ou de pousses (enveloppes des châtaignes), et d’un lit de châtaignes. On achève de le combler d’environ 3 décimètres de terre battue, pour que la gelée n’y pénètre pas. Dans le courant de février, on retire les châtaignes de ce trou, appelé soutieire ; on les sème en raies à environ 8 décimètres l’une de l’autre, et à un décimètre de profondeur, le germe en haut. Il faut avoir soin de sarcler les mauvaises herbes ; d’arroser s’il survient de fortes sécheresses ; de travailler la terre au moins en mars et en août ; de dégager la tige principale des petites branches qui poussent autour, etc. Au bout de 4 ans, on a des arbres d’environ 2 mètres de haut et de 3 ou 4 centimètres de diamètre près des racines, les quels peuvent être arrachés pour être plantés à demeure.

Les châtaigniers se plantent comme tous les arbres fruitiers, on ne met pas de fumier. On est dans l’usage de couper le pivot. On coupe aussi la tête de l’arbre, afin que les branches ne fatiguent pas la tige ; il prend plus tôt racine et pousse des jets qu’on peut greffer deux ans après. En greffant, on doit faire attention que tel châtaignier se plaît mieux sur les hauteurs, tel autre auprès des ruisseaux.

Au commencement d’avril on greffe tous les arbres plantés 2 ans auparavant, ceux qui ont manqué les années précédentes, et les rejetons des vieux arbres. On doit avoir toujours dans sa propriété deux ou trois arbres greffés des meilleures espèces, dont on recèpe les branches tous les 2 ans, dans les premiers jours d’avril ; ces jets sont uniquement destinés à fournir des greffes. Les autres sortes réussissent aussi ; cependant c’est la greffe en flûte (voir l’art. Mûrier ci-devant) qu’on préfère, et elle est immanquable si l’on a l’attention, un mois après, de visiter chaque greffe et d’enlever avec la main les pousses du sauvageon qui l’affament et l’étouffent.

On continue ensuite à soigner l’arbre tant qu’il est jeune, comme on l’a fait depuis qu’il est planté. Il faut le fossoyer en juin, ménager un petit creux autour pour recevoir les eaux pluviales, élaguer les pousses qui sortent de la tige, entourer celle-ci de paille en été pour la défendre du soleil, et surtout la garnir d’épines si l’on a des chèvres. Quand les arbres deviennent plus forts, il faut émonder les branches mortes, supprimer les gourmands, raccourcir les branches qui nuisent au développement des autres. Ce n’est guère qu’au bout de 10 ans que les châtaigniers greffés donnent des fruits en assez grande abondance pour que la récolte mérite d’être comptée. — Les plantations de châtaigniers ne doivent être établies que dans les terrains sablonneux, granitiques ou argileux ; ces arbres ne prospèrent point dans les sols calcaires ou marécageux.

Nous ne rapporterons pas ici les divers usages des fruits et du bois de châtaignier (voir Agric. forestière, T. IV), ni les diverses manières d’apprêter les châtaignes : dans les Cévennes, on s’en sert pour engraisser les bestiaux et la volaille, elles constituent la nourriture habituelle des pauvres habitans, elles figurent aussi sur les meilleures tables. Enfin elles constituent un commerce d’exportation assez important : on sait qu’à Paris et dans les grandes villes la consommation qui s’en fait est fort considérable. Les Limousins en fabriquent une espèce de pain, en Corse on en fait des galettes ou biscuits épais et lourds, et dans les Cévennes de la farine, mais pour la nourriture des cochons, en en mélangeant quelques poignées avec les fruits et les herbes qu’on leur donne. Les chimistes modernes en ont retiré du sucre ; concassées et torréfiées, elles ont été proposées pour remplacer le café.

La récolte des châtaignes varie beaucoup d’une année à l’autre. Elle sera mauvaise s’il vient à pleuvoir lorsque les chatons sont en fleurs, s’il fait de grands vents lorsque les hérissons se forment, si l’été trop chaud les dessèche et les fait avorter. Pour la cueillette, les ramasseuses se servent d’un bâton fourchu pour ratisser les feuilles qui couvrent les châtaignes dans les creux, entre les pierres, et pour frapper et ouvrir les hérissons tombés avec le fruit. Quand leurs paniers sont