Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, II.djvu/522

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à la production d’une si grande quantité de fourrages pour les seules bêtes ovines ; c’est pour cela qu’on leur fait consommer d’autres produits du sol, tels que des grains, des racines, des pailles. Quoique plus favorable qu’aucun autre régime à la santé des moutons, le pâturage leur deviendrait promptement fatal si l’on ne le dirigeait convenablement : l’expérience a appris aux bergers à user de certaines précautions, à suivre certaines règles hygiéniques que les propriétaires doivent connaître pour être capables d’en surveiller l’exécution. A moins d’obstacles très-grands, on doit faire sortir chaque jour les bêtes à laine (dit Daubenton), parce qu’en pâturant, elles choisissent leur nourriture à leur gré, et la prennent dans le meilleur état, et que du reste l’exercice stimule leur appétit et entretient leur vigueur ; il est dans la nature de ces animaux de vaguer à droite et à gauche, tout en ramassant ce qu’ils rencontrent ; le berger ne doit pas contrarier leur instinct en les retenant en place malgré eux. Cependant, comme les moutons gâteraient beaucoup plus d’herbe avec les pieds qu’ils n’en brouteraient, si on leur permettait de parcourir en liberté un pâturage abondant, le gardien ne donnera chaque jour accès au troupeau que dans une portion du champ. Pendant la belle saison, on peut lâcher les moutons dès le lever du soleil, pourvu quil n’y ait ni rosée, ni brouillard ; sinon, il faut attendre que le soleil les ait dissipés, car ils pourraient causer aux animaux des coliques dangereuses : la nature semble avoir elle-même indiqué cette utile précaution ; c’est une remarque facile à faire, que les bêtes ovines pâturent avec moins d’avidité lorsque l’herbe est mouillée, si ce n’est lorsqu’une pluie bienfaisante vient, après de longues sécheresses, rendre les plantes plus appétissantes. Quand la force du soleil augmente, on dirige les troupeaux de façon qu’ils ne reçoivent pas en face les rayons solaires, et, durant les grandes chaleurs de la journée, il est absolument nécessaire de les conduire à l’ombre pour y reposer. Leur laine, qui empêche que l’air ne les refroidisse en hiver, empêche aussi que l’air ne les rafraîchisse en été. D’ailleurs ces animaux ont le cerveau faible ; le soleil tombant à plomb sur leur tête peut leur donner des vertiges qui les font tourner, et même le mal appelé la chaleur qui les tue rapidement si le berger ne les secourt aussitôt par une abondante saignée. Il n’est aucun prétexte qui puisse dispenser de prendre la précaution que nous recommandons, car les moutons n’emploieraient point à pâturer le temps de la grande chaleur, quand même on les forcerait de tenir la campagne ; leur souffrance se manifeste alors d’une manière évidente : ils s’agitent plus que d’habitude ou se réunissent en troupe serrée ; chacun d’eux baisse le cou et place sa tête sous le ventre de son voisin pour s’abriter et mettre ses naseaux à l’abri de la persécution d’une mouche noirâtre (l’œstre des moutons) qui cherche à y pénétrer pour y pondre ses œufs. Mais s’ils réussissent ainsi à se soustraire aux piqûres de la mouche, ils ne peuvent échapper au danger de respirer un air chargé de poussière brûlante et infecté par la vapeur concentrée de leur corps : il n’est pas rare que quelques uns tombent suffoqués et périssent pour ainsi dire instantanément, et malgré tout secours. Un berger soigneux ne bravera jamais ce danger, il se retirera devant le soleil et conduira ses moutons dans un endroit frais où ils puissent à leur aise ruminer et digérer la nourriture amassée dans leur premier estomac. La bergerie, si c’est elle qui sert de lieu de repos, doit être vaste et bien aérée, plus aérée qu’en tout autre temps ; car, si les moutons devaient y être à l’étroit, il serait préférable de les tenir à l’ombre d’un mur, d’un bois ou d’arbres isolés. Dès que le soleil commence à devenir moins ardent, on ramène les troupeaux au pâturage dont on les laissera jouir jusqu’à la nuit. A l’approche de l’hiver le parcours devient plus difficile ; les prairies naturelles et artificielles s’épuisent, les terres vagues ne produisent plus d’herbe ; c’est alors qu’un supplément de nourriture doit être distribué à l’étable. Les pailles et les fourrages secs font la base ordinaire de cette nourriture : chaque mouton devra en recevoir au moins 1 kilogramme par jour ; mais quelque bien choisie que soit la nourriture sèche, elle est moins convenable aux moutons que la nourriture verte à laquelle ils sont accoutumés et qui est bien plus appropriée à leur tempérament ; elle échauffe, nourrit moins, nuit à l’accroissement et aux bonnes qualités de la laine ; c’est surtout aux brebis qui allaitent que ce régime est défavorable ; leurs nourrissons s’en ressentent d’une manière fâcheuse. On peut se créer une grande ressource dans cette saison en cultivant quelques pièces de pimprenelle où les moutons trouvent toujours à paître, puisque les froids ni la neige ne suspendent point la végétation de cette plante. Il est aussi quelques cultivateurs qui entretiennent une certaine quantité de choux cavaliers pour en distribuer les feuilles aux brebis et augmenter leur lait. Il y a quarante ans, l’agriculture française ne possédait, pour ainsi dire, aucun autre moyen d’hivernage que les fourrages secs ; si quelques-uns employaient les choux et la pimprenelle, le nombre en était rare et leur exemple ne pouvait être suivi partout avec succès : aujourd’hui la nourriture fraîche est dans beaucoup de fermes aussi abondante l’hiver que l’été ; les moutons peuvent jouir du vert dans toutes les saisons, grâce à la culture des racines. Ce serait une grande faute à celui qui élève des bêtes à laine de nos jours, de ne point avoir à sa disposition une quantité suffisante de navets, pommes de terre, betteraves, carottes ou topinambours pour tempérer au moins l’action malfaisante du sec sur son troupeau. L’usage de ces racines est maintenant fort répandu ; on en connaît tous les avantages ; l’excès pourrait seul en être nuisible : elles n’ont point toutes les mêmes qualités nutritives, ni les mêmes propriétés lactifères ; nous avons fait connaître à l’article spécial de chacune de ces plantes, au tome 1er, ce que l’expérience nous avait appris sur ce sujet ; en général on s’accorde en cela qu’il est utile de distribuer aux moutons une moitié de leur ration en sec, l’autre moitié en racines ; il n’est pas douteux que ce mé-