Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, II.djvu/526

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troupeau arriva ê Rambouillet le 12 octobre 1786, au nombre de 366 individus dont 41 béliers, 318 brebis et les 7 moutons conducteurs : comme il n’y avait point de bergerie à la ferme, il fut placé provisoirement à Mocsouris, dans les bâtimens de la blanchisserie, où il resta jusqu’à la révolution, époque à laquelle on le transféra à la faisanderie ; et ce ne fui que lorsqu’on rétablit les chasses à Rambouillet que l’on fit bâtir le corps de bergerie existant aujourd’hui. Le tioupeau se réduisit l’hiver suivant à 331 bêtes, parce qu’il en mourut 35 de la clavelée qu’il avait gagnée dans le voyage : lors de l’invasion de la maladie, les bergers espagnols regardèrent ce troupeau comme perdu et ils l’abandonnèrent aux soins du directeur de l’établissement, M. Bourgeois père, qui dès ce moment le fit gouverner par des bergers du pays. Le maître berger Hernans et ses compagnons repartirent pour l’Espagne le 4 avril 1787. C’est de cette époque que date l’arrivée de Clément Delorme, premier berger français de l’établissement, dont le zèle et les connaissances pratiques ont constamment maintenu le troupeau en bon état. A Daubenton appartient le mérite d’avoir conçu le premier l’idée d’améliorer les laines françaises, et d’en avoir donné les moyens en croisant des brebis indigènes avec des béliers mérinos ; mais ce n’est qu’à Rambouillet que l’on est parvenu à identifier tout à fait les mérinos avec le sol : ils y réussirent si bien, qu’après quelques années de soins mieux entendus qu’en Espagne, on put remarquer que les productions étaient supérieures aux bêtes nées en Espagne même. Ce que l’on avait en vue à Rambouillet, était surtout de naturaliser les mérinos dans les fermes, et de déterminer les cultivateurs à améliorer leurs races du pays par le croisement avec le pur sang espagnol : aussi s’empressa-t on de faire participer la culture au bienfait de la riche importation que l’on venait d’obtenir, et dès les premières années on donna des béliers et même des brebis aux propriétaires et fermiers qui voulurent bien les recevoir ; car très-peu en demandèrent ; quelques-uns même les refusèrent : on en distribua aussi aux administrations provinciales : il en fut particulièrement envoyé dans la Beauce, la Brie, la Picardie, la Normandie, le Poitou, le Dauphiné, la Champagne, etc. Généralement ceux qui les reçurent n’en prirent aucun soin ; presque tous négligèrent de les employer à la reproduction ; quelques-uns les laissèrent périr de faim ou de maladies : tant les cultivateurs sont habitués à priser peu ce qui leur a peu coûté. La révolution vint suspendre l’amélioration commencée ; le troupeau n’échappa à la destruction que par suite des courageux efforts de M. Bourgeois père, qui resta seul pour le défendre. Dès que l’orage fut calmé, M. Tessier, qui avait suivi avec intérêt le troupeau de Rambouillet depuis sa création, devint un de ses plus chauds protecteurs près de la commission d’agriculture dont il était membre : il y fut fortement secondé par plusieurs de ses collègues, hommes éclairés et amis de leur pays, parmi lesquels il faut surtout citer MM. Gilbert et Huzard ; ils s’attachèrent à la conservation du troupeau de Rambouillet, et bientôt ils furent chargés de sa surveillance. A partir de cette époque, les suffrages des agriculteurs furent acquis à Rambouillet, et son nom fut porté dans toute l’Europe. Or, le troupeau prospérant de plus en plus, et les agneaux qui naissaient chaque année en augmentant le nombre, il fallait penser à en tirer parti en le propageant par tous les moyens possibles : on n’avait pas réussi en donnant les animaux, on eut le bon esprit de tenter de les vendre. Les succès de l’administration, et le bon état dans lequel les curieux, qui visitaient l’établissement, trouvaient le troupeau, parlèrent aux yeux et suscitèrent quelques imitateurs qui firent leur fortune en s’adonnant les premiers à l’éducation des mérinos. Eu même temps que les agronomes démontraient dans leurs écrits les avantages qu’il y avait à propager les mérinos pour améliorer nos laines, M. Bourgeois père, cultivateur dès sa naissance, agissait sur l’esprit des habitans de la campagne et déterminait les fermiers, autant par la persuasion que par les faits qu’il leur faisait toucher au doigt, à introduire la race espagnole dans leurs bergeries : il leur faisait voir que les mérinos produisaient des toisons moitié plus pesantes, et beaucoup plus fines que les bêtes indigènes ; enfin ces cultivateurs pouvaient se convaincre par leurs yeux que ces animaux exigeaient une nourriture plutôt de bonne qualité que très-abondante, et seulement un peu plus de soins. Les propriétaires, d’abord, et quelques-uns des fermiers les plus intelligens, ensuite, se décidèrent à acheter des béliers en petit nombre ; comme ils avaient été payés beaucoup plus cher que les moutons du pays, on leur prodigua les soins nécessaires dans la crainte de perdre les fruits des sacrifices qu’ils avaient coulé. Ces béliers transmirent une partie de leurs qualités à leurs premiers descendans, les bénéfices ne se firent pas longtemps attendre, et le goût de cette amélioration agricole gagna de proche en proche. Bientôt l’enthousiasme succéda à l’indifférence ; le prix des mérinos s’éleva dans une proportion rapide jusqu’en 1821, au point que, aux ventes publiques de Rambouillet, des brebis furent payées plus de 700 fr., et qu’un bélier atteignit 3,870 francs. Voici le tableau du prix moyen des ventes publiques faites à Rambouillet depuis 1793 jusqu’en 1834 ; l’étude peut en être utile pour montrer de quelle importance est le choix d’une race d’animaux domestiques, et combien les cultivateurs doivent réfléchir avant de repousser une amélioration qu’on leur propose, quelque contraire qu’elle soit à leurs habitudes.