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chap. ier
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CONSERVATION ET TRANSPORT DU LAIT.


plus d’un pouce de hauteur, la crême monte vite, mais imparfaitement, et elle est presque toujours sans consistance.

On peut hâter la séparation de la crême au moyen d’une chaleur artificielle. C’est ainsi qu’en hiver seulement, dans les laiteries d’Isigny, on entretient une douce chaleur pour faire plus promptement monter la crême, et que, dans quelques autres pays, tels que le Devonshire, et le Bocage dans la Vendée, on accélère constamment cette séparation par l’application d’une chaleur factice. Ce dernier moyen donne des produits abondans, mais de qualité inférieure, et le beurre qu’on fait dans ces pays rancit très promptement.

4o Ecrêmage. Quand on ne fractionne pas la crème, c’est-à-dire lorsqu’on ne la lève pas à mesure qu’elle se forme, la question est de connaître le moment où il est le plus avantageux d’écrêmer. Les avis sont partagés sur ce point ; les uns croient qu’il faut laisser le lait s’aigrir et se cailler avant d’en enlever la crême ; d’autres, au contraire, et avec raison, pensent qu’on doit procéder à cette opération avant qu’il se manifeste la moindre aigreur. En effet, pour peu qu’il y ait de l’acidité, la crème s’associe à des parties caséeuses qui augmentent, il est vrai, le produit, mais qui nuisent à la qualité ; car on ne fait du beurre très-fin, délicat et de bonne garde, qu’avec de la crème douce.

Le moment important à saisir est celui où toute la crême est rassemblée à la surface, sans qu’il y ait encore des signes prononcés d’acidité. Dans la Frise hollandaise, où l’on fabrique un beurre si excellent, la crème est levée ordinairement 12 heures après le dépôt du lait dans les terrines, et jamais on ne laisse passer 24 heures avant de procéder à cette opération. Il en est de même dans le Holstein, la Suisse et la Lombardie, où l’on fait d’excellens beurres. Ce moment varie, au reste, avec la température. Il est plus long dans les temps froids, et plus court dans la saison chaude et les temps d’orage. Le signe employé ordinairement pour le reconnaitre, c’est de presser du doigt la surface de la crème ; si on le retire sans empreinte de lait, on pense que tout le beurre est monté à la surface. Dans le Holstein, on plonge dans la crême un couteau ; si le lait ne revient pas à la superficie, c’est le moment opportun pour écrêmer ; et tel est le soin qu’on met dans ce pas à cette opération, que les ménagères attentives veillent pendant la nuit pour saisir l’instant précis où la crème est entièrement montée, ce qu’elles reconnaissent en employant le moyen indiqué.

Le meilleur moment pour lever la crême, pendant les mois les plus chauds de l’année, c’est le matin et le soir. Pendant l’hiver, ce moment est subordonné aux circonstances. Dans les temps orageux, où le lait se caille promptement, il faut une surveillance plus active, et dès qu’on entend gronder l’orage dans le lointain, on doit courir à la laiterie, comme on le fait dans le pays de Bray, boucher les soupiraux, rafraichir le carreau et écrémer toutes les terrines où la crème est un peu faite.

Pour opérer l’écrémage on se sert de trois méthodes différentes :

1o On place la terrine sur le bord de la banquette ; on déchire avec le doigt près du bec la pellicule crémeuse qui recouvre toute la surface, et, en inclinant le vase, on fait écouler lentement, par l’ouverture qu’on a faite, la totalité du lait, qu’on verse dans les baquets (fig. 16), ou autres vases destinés à le recevoir. C’est la méthode qui est usitée dans le pays de Bray et en beaucoup d’autres points de la France. — 2o On enlève les chevilles ou les bouchons qui garnissent les ouvertures percées près du fond des terrines ou des vases plats, et on laisse écouler le lait jusqu’à ce que la crème reste à sec au fond des vases. C’est le procédé le plus employé en Angleterre. — 3o La méthode la plus usitée de toutes consiste à enlever la crême avec l’écrêmoir. Pour cela on commence par la détacher des bords de la terrine avec le couteau d’ivoire, qu’on passe tout autour du vase, puis on attire doucement cette crème à soi au moyen de l’écrêmoir, et quand elle est bien rassemblée, on l’enlève avec précaution, de manière à l’avoir tout entière et exempte de lait. Cette opération demande une dextérité qui ne s’acquiert qu’avec l’habitude. De la bonne manière d’opérer dépend en partie le succès de la laiterie, car si on laisse de la crème on perd une quantité proportionnelle de beurre, et si l’on prend du lait on nuit à la qualité du produit.

La crème ainsi levée est déposée aussitôt dans les vases destinés à la contenir, jusqu’à ce qu’elle soit livrée à la consommation, ou convertie en beurre. Plus elle est exempte de lait, mieux elle se conserve. La crème est un composé de beurre et de matière caséeuse mêlés avec un peu de lait ; elle ne contient pas la totalité du beurre qui se trouve primitivement dans le lait, mais la majeure partie. — Tout étant terminé, les laits écrémés sont enlevés de la laiterie pour être employés à l’usage auquel on les destine.

§ VII. — Conservation et transport des produits de la laiterie.

Les principes constituans du lait ont une tendance si prononcée à se séparer, qu’il est à peu près impossible de conserver le lait avec toutes ses propriétés caractéristiques. Le seul et unique moyen de le garder frais pendant quelques jours, c’est de le déposer dans un lieu froid, dans l’eau très-fraîche, et dans laquelle ou peut jeter de temps à autre quelques morceaux de glace, de le remuer souvent et de le recouvrir d’un linge mouillé qu’on imbibe d’eau ou qu’on change souvent.

On prolonge encore la durée du lait, mais en altérant ses qualités à divers degrés, en plongeant les vases qui le contiennent dans l’eau bouillante, puis les tenant exactement clos. M. Gay-Lussac a trouvé qu’en chauffant du lait frais jusqu’à 100 degrés, et répétant cette opération tous les deux jours, et même tous les jours, si l’on est en été, le lait peut ensuite être gardé des mois entiers sans qu’il s’aigrisse. On a aussi conseillé de verser dans chaque chopine de lait, pour le conserver, une cuillerée à bouche d’eau distillée de Radis sauvage (Raphanus raphanistrum).