sur les petites comme sur les grandes tables,
la qualité du pain est chose essentielle, la boulangerie
est non-seulement un art de 1re nécessité,
dont l’exercice mérite encouragement et
protection, mais sa connexité est telle avec la
prospérité publique que l’administration du
pays a voulu le réglementer et le soumettre à
un régime de surveillance tout particulier.
Dans la plupart de nos grandes villes, c’est
l’autorité municipale qui taxe le prix du pain ;
c’est elle qui accorde ou qui refuse l’autorisation
d’ouvrir un fonds de boulangerie ; c’est
elle qui, la loi de 1791 à la main, vérifie le
poids du pain et juge les infractions aux réglemens
qu’elle a faits.
Nous n’examinerons pas si ce régime de soumission a été plus favorable au public et au développement de l’art en lui-même que la libre concurrence, les opinions à cet égard peuvent être différentes et également bien fondées ; le fait existe, la boulangerie est sous la dépendance de l’administration, et rien n’annonce, malgré les progrès que nos institutions ont faits vers les libertés de tous genres, que cet état de choses doive cesser. Néanmoins, sans chercher à enlever à l’adminisiration cette prérogative à laquelle elle tient tant et que le public aussi (il faut bien le dire, que ce soit un préjugé ou non) considère généralement comme nécessaire, on est en droit de s’étonner que le gouvernement, qui attache tant d’importance à réglementer, ail jusqu’ici montré si peu de soucis pour assurer les progrès d’un art si essentiel. Où sont, en effet, les écoles qu’il a ouvertes ? Où sont les livres spéciaux qu’il a fait publier ? Où sont les savans qu’il a appelés à scruter les mystères de cette fermentation panaire restée encore mal expliquée au milieu des progrès immenses que la chimie a faits de nos jours ? Où sont les signes de considération particulière pour des hommes qu’il tient sous un régime à part ? Allez à Paris, dans les quartiers les plus obscurs, dans les tavernes les plus dégoûtantes, c’est là que vous trouverez le personnel des garçons boulangers ! c’est là que vous verrez la misère et le vice unis à l’ignorance la plus complète ! Etrange insouciance des hommes qui gouvernent ! Faisons des vœux pour que le pain, le plus important de tous les objets alimentaires, occupe autrement que comme objet de police l’administration qui veut le conserver sous sa main. Les savans ne manquent pas au pays ; qu’elle les encourage ! qu’elle les indemnise de leurs travaux, qu’elle leur ouvre des amphithéâtres ! et l’obscurité qui règne encore sur bien des points de l’art de la panification cessera au profit de la moralité et de la santé publiques.
Section II. — Théorie de la fabrication du pain.
La farine de froment contient de l’eau, de l’amidon et du gluten dans les proportions qui sont à peu près celles-ci :
Humidité |
10 | |
Gluten |
10 | |
Amidon |
73 | |
Matière sucrée |
04 | |
Matière albumineuse |
03 | |
100 |
Toutes ces parties étant délayées et assimilées, au moyen d’une certaine addition d’eau, forment une pâte qui, soumise à une température ordinaire, éprouve bientôt une véritable fermentation dont les produits sont de l’alcool, de l’acide acétique et du gaz acide carbonique qui tend à se dégager ; c’est alors que le gluten, poussé par le gaz, s’étend comme une membrane visqueuse, soutient la pâte, établit une espèce de voûte dans l’intérieur de laquelle se forme une grande quantité de petites cavités, véritable réseau qui, saisi et retenu dans cet état par la chaleur du four au moment de la cuisson, constitue la légèreté et la qualité digestive du pain.
On voit ainsi que le gluten est l’agent mécanique du pain, au moyen duquel la levée de la pâte s’opère, et l’on devine aisément pourquoi les céréales qui ne contiennent pas autant de gluten que le froment fournissent un pain plus mat, qui lève mal et se cuit mal, et pourquoi aussi la fécule de pommes de terre, qui ne contient pas de gluten, est si difficile à panifier, quoi qu’on ait tenté jusqu’ici pour activer et soutenir sa fermentation.
L’action mécanique qui constitue la levée du pain est bien constatée, mais les savans ne sont pas bien fixés sur la nature de la réaction qui se développe dans la pâte par l’état d’association où se trouvent les élémens de la farine.
On se demande s’il est nécessaire, pour devenir aptes à donner par la cuisson un pain savoureux et facile à digérer, que les élémens de la farine soient modifiés par la fermentation, ou bien s’il suffirait, pour obtenir ce pain, de développer dans la pâte, par un moyen quelconque, les gaz dont l’action expansive fait lever le pain, et si l’altération qu’on laisse développer aujourd’hui dans la pâte n’a réellement d’autre but que le dégagement de ces gaz ?
La théorie n’a pas résolu encore ce problème ; mais, tout en reconnaissant que la fermentation est aujourd’hui le seul moyen par lequel on obtient une bonne panification, on serait pourtant tenté de croire que cette fermentation n’est pas la condition obligée,et que l’action mécanique obtenue par le développement du gaz suffirait pour diviser convenablement la pâte, la rendre légère et lui permettre d’être pénétrée uniformément par la chaleur, eu un mot pour faire du bon pain[1].
Section III. — Des levains.
Que la fermentation soit nécessaire à la bonne panification ou que le dégagement du gaz suffise, toujours est-il que, dans l’état actuel de l’art, on se sert de levain pour faire lever la pâte. Sans levain la pâte fermenterait, mais ne boursoufflerait pas et le pain obtenu serait mat, pesant et de mauvaise qualité.
- ↑ Rapport de M. Kuhlmann à la Société des sciences et arts de Lille, 1829 et 1830.