Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, III.djvu/78

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petites villes, des villages et des hameaux.

Les gens des campagnes, industrieux à re chercher une multitude de débris presque sans valeur, négligent, ou plutôt ils repoussent avec horreur et anéantissent, en les enfouissant dans la terre, des débris animaux qui pourraient leur procurer des ressources importantes.

La répugnance profonde que l’on éprouve généralement pour les cadavres des animaux morts, est un des principaux obstacles à la réalisation des vues utiles qui vont suivre, et cette répugnance est souvent rendue invincible par la crainte de l’insalubrité qu’on attribue aux matières plus ou moins putrides ; nous devons donc nous efforcer de détruire les idées fausses sur ces objets et sur quelques arts industriels improprement appelés insalubres. Ces préjugés, démentis par les nombreux rapports de savants distingués, sont cependant encore empreints dans une foule de réglemens administratifs.

Si l’on examine en particulier chacune des industries qui traitent des matières animales et présentent les plus fortes émanations parmi celles rangées dans la première classe des établissemens dits insalubres ou incommodes, on reconnaîtra qu’elles n’ont jamais donné lieu à aucune maladie parmi les nombreux ouvriers qu’elles occupent, ni même chez les habitants du voisinage. Des enquêtes les plus minutieuses ont eu lieu, sous ce rapport, relativement aux boyauderies, aux fonderies d’os, aux fabriques de colle-forte et de produits ammoniacaux, aux tanneries, aux manufactures de poudrette, enfin aux clos d’écarrissage qui réunissent toutes les causes de putridité, et notamment à Montfaucon. Il est facile de démontrer ainsi cette importante proposition, que les gens des campagnes n’ont aucun danger à craindre en s’occupant d’utiliser les débris des animaux morts, lors même qu’une putréfaction avancée les forcerait à opérer en plein air.

Cette assertion est vraie dans tous les cas observés, à une seule exception près ; mais l’affection morbide y relative, à laquelle ont succombé les animaux, peut être caractérisée d’une manière tellement précise, qu’elle ne donnera jamais lieu à des méprises fâcheuses. La maladie connue sous le nom de charbon (anthrax) se décèle par une tumeur gangreneuse, circonscrite, élevée en pointe, sur laquelle se forme une ou plusieurs phlyctènes (vulgairement dites cloches), accompagnée d’une vive douleur, d’une chaleur ardente ; les pustules élevées sur le sommet de ces tumeurs (ou boutons) se convertissent rapidement en escarres (ou croûtes) noirâtres, qui, semblables à du charbon éteint, ont reçu le nom de charbon. Les animaux atteints du charbon montrent une tristesse profonde ; leurs flancs s’agitent fortement ; on observe, en différentes parties de leur corps, surtout au poitrail et près des côtes, des grosseurs qui leur causent beau coup de douleur, et qui rendent, au toucher, des sons analogues au bruit d’une peau sèche. Après la mort, qui arrive au bout de quinze à trente heures, la langue est noire, le sang et la chair sont d’une couleur brune foncée. Il faut éviter de toucher un animal mort du charbon, surtout lorsqu’une blessure à la main pourrait favoriser ou déterminer la contagion. Si l’on n’était pas bien assuré de reconnaître le charbon aux indices précédens, il conviendrait de consulter un médecin-vétérinaire ; cette précaution ne devrait jamais être négligée lorsqu’il sera possible de la prendre ; enfin, dans le cas où il reste rait des doutes sur la nature de la maladie, on devrait s’abstenir de dépecer l’animal. Si l’on avait reconnu la qualité contagieuse de la maladie, on enterrera l’animal mort à 1 pied ½ environ sous terre, et pour le conduire à la fosse, on pourrait se servir d’un crochet fixé au bout d’un long manche. On remarquera d’une manière quelconque la place où on l’aura enterré. Il conviendra d’y semer du grain, afin de profiter de cette puissante fumure souterraine : au bout de deux ans, on videra la fosse et on trouvera les os complètement décharnés et propres aux usages que nous indiquerons plus loin.

S’il est démontré que dans le dépècement des animaux morts du charbon, désaffections mortelles peuvent être contractées par l’opérateur, il ne paraît pas moins certain que ces accidens sont extrêmement rares ; car on n’en a pas constaté un seul parmi les écarrisseurs qui, à Montfaucon, abattent annuellement 10, 000 à 11, 000 chevaux, et la chair provenant d’une partie de ces mêmes animaux, et de ceux qui ont succombé à diverses maladies épidémiques ou contagieuses, n’a jamais causé d’indisposition chez les individus qui l’ont consommée comme substance alimentaire.

Enfin, nous ajouterons qu’à peine est-il douteux que la solution de chlorure de chaux, obtenue actuellement à si bas prix en France, imprégnée dans une blouse dont se recouvrirait l’opérateur, versée sur ses mains et sur l’animal au moment de l’ouverture, introduite même alors dans l’intérieur du cadavre, laissât planer la moindre crainte de danger. Une des sources des plus fortes inductions en ce sens résulte sans doute des expériences faites récemment sur des vête mens de pestiférés par une commission de médecins.

L’animal dépecé avec ces précautions, ou seulement coupé en quatre morceaux, puis soumis en vase clos à la vapeur à 120 degrés, serait facilement désossé, et sans doute d’une innocuité complète dans tous les usages plus loin indiqués. Les intestins et vidanges étendus et recouverts de 6 à 10 pouces de terre alimenteraient une riche végétation. Il faut donc espérer que l’on aura bientôt la certitude de pouvoir tirer parti de tous les animaux morts, sans aucune exception.

Les animaux morts des suites de maladies, ou atteints par la foudre, de même que ceux qui succombent après un excès de fatigue, éprouvent plus facilement les effets de la putréfaction. Il est donc nécessaire de les dépecer le plus tôt possible, et de traiter immédiatement toutes leurs parties par les agens et les moyens indiqués dans cet article.

Au fur et à mesure que l’on met à décou-