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livre viii.
HORTICULTURE.


traire, est une interversion des lois naturelles. L’homme, pour utiliser les végétaux, modifie la nature ; la nature tend constamment à reprendre ses droits, à diriger la végétation, non pas vers la satisfaction des goûts et des besoins de l’homme, mais vers la conservation des individus, et la perpétuité des races ; les végétaux appropriés à nos usages, les arbres fruitiers surtout, ne peuvent donc pas être abandonnés à eux-mêmes ; de là, la nécessité de tailler et de conduire les arbres fruitiers.

Les principes de la taille, appropriée à chaque espèce d’arbres fruitiers, reposent sur le mode de végétation qui lui est propre. Quoiqu’un traité de jardinage ne soit point un livre de physiologie végétale, nous avons cru devoir appuyer nos conseils de l’exposé des principes sur lesquels ils sont fondés ; nous l’avons fait avec d’autant plus de soins que nos conseils diffèrent sous plusieurs rapports essentiels de ceux qu’ont donné nos devanciers. Nous regardons la taille et la conduite des arbres fruitiers comme des objets tellement importants dans la pratique de l’horticulture, que nous les isolons entièrement du chapitre consacré à la plantation et à l’entretien des vergers, que nous traiterons séparément (voir Jardin fruitier).


Section 1re. — Taille et conduite du pécher ; principes généraux.

§ 1er. — Végétation naturelle.

La taille et la conduite propres à chaque espèce d’arbre fruitier ne peuvent avoir qu’une seule base rationnelle : l’étude de son mode particulier de végétation. Plusieurs particularités propres au pêcher établissent des différences importantes entre sa manière de végéter et celle des autres arbres à fruit. Pour nous en former une juste idée, considérons d’abord ce que deviendrait un pêcher greffé, puis livré à lui-même. Pendant les deux ou trois premières années, il poussera des branches vigoureuses, plus ou moins divergentes, dont les rameaux supérieurs, à l’exclusion des autres, finiront par se charger de fleurs et de fruits tout en continuant à s’allonger. Si après la première récolte nous examinons les parties de ces rameaux qui auront porté fruit l’année précédente, nous n’y trouverons ni bourgeon, ni bouton à fruit ; nous verrons toute la sève se porter vers le haut des branches, dont le bas se trouvera dégarni pour toujours. Dans une branche de pêcher, la partie qui a porté fruit n’en portera plus jamais, quelle que soit la durée de l’arbre, c’est la loi dominante et invariable de sa végétation. Au bout de quelques années, il n’a plus à nous montrer que des bouquets de rameaux verts supportés par des montants aussi dépouillés, aussi complètement nus que des manches à balai. Tel serait donc l’aspect d’un pêcher en espalier qu’on se bornerait à palisser contre un mur, et qui serait ensuite abandonné au cours naturel de sa végétation ; il s’élancerait vers le haut de la muraille qu’il dépasserait presque toujours ; sa partie supérieure se couvrirait seule de feuillage, et porterait çà et là quelques fruits ; le bas n’offrirait que des branches lisses, entièrement nues, sans apparence de fruit, ni même de feuillage.

Ces faits constatés, il en ressort ce principe, que toute branche de pêcher ayant porté des fruits ou seulement des fleurs, ne pouvant plus jamais en porter, doit être supprimée, et que pour pouvoir espérer une succession de récoltes annuelles, il faut provoquer la formation annuelle des branches à fruit. Il en résulte aussi la nécessité de combattre constamment le penchant du pêcher à lancer sa sève vers ses rameaux supérieurs, au détriment des autres, et de le forcer à la distribuer également dans toutes ses parties, afin d’y produire des branches à fruit en remplacement de celles qui, chaque année, deviennent improductives après avoir porte une seule récolte.

Une autre particularité propre au pêcher n’est pas moins digne de notre attention. Les yeux à bois ou à fruit existant sur une branche de pêcher se développent tous, sans exception, à l’époque où il commence à végéter ; il est donc impossible de compter, pour les remplacements, sur les yeux qui pourraient se montrer plus tard ; l’existence de ces yeux latents, si précieux pour d’autres espèces d’arbres fruitiers, est incompatible avec le mode de végétation du pêcher ; c’est sur la branche à fruit de l’année, et parmi les yeux à bois de cette branche, qu’il faut chercher les moyens de la remplacer pour l’année suivante ; il n’y a pas d’autre ressource. Les arbres francs obtenus de noyaux ont seuls la faculté de se rajeunir quelquefois par des yeux latents qui percent le tronc ou les grosses branches supprimées ; mais cette chance n’existe même pas pour les pêchers greffés qui garnissent nos espaliers.

Remarquons en outre que, tandis que chez beaucoup d’autres arbres, la sève éprouve au milieu de la saison un temps d’arrêt qui permet de distinguer la sève d’août de celle du printemps, chez le pêcher, la sève ne suspend pas un instant son activité, depuis les premiers jours du printemps jusqu’à l’entrée de l’hiver.

Tout le système de la taille du pêcher repose sur ces observations. Nous ne pouvons mieux faire ressortir la nécessité de surveiller sans cesse l’équilibre de la sève entre toutes les parties du pêcher, qu’en citant ces paroles si justes et si vraies de M. Lelieur.

« La sève peut être considérée comme un torrent qu’il est aisé de maintenir dans le lit que la nature ou la main de l’homme lui a tracé ; il faut seulement se porter à temps aux endroits où elle veut faire irruption, la prévenir, obstruer les passages, en même temps qu’on lui laisse dans le voisinage assez de canaux libres pour s’écouler ; alors elle portera l’abondance et la vie dans ces mêmes canaux qu’elle eût abandonnés, et qui se fussent desséchés si on lui eût laissé la liberté de s’en frayer de nouveaux selon son caprice.»