Page:Maistre - Du pape suivi de l'Église gallicane, Goemaere, 1852.djvu/131

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mille autres ouvrages de ce genre. Les jésuites s’étaient exercés sur toute sorte d’enseignements élémentaires, au point que dans les écoles maritimes d’Angleterre, on s’est servi jusque dans ces derniers temps d’un livre composé autrefois par l’un de ces Pères, qu’on n’appelait pas autrement que le Livre du jésuite[1].

C’est une justice encore de rappeler ces éditions des poètes latins donnés par les jésuites, avec une traduction en prose latine, élégante dans sa simplicité, et des notes qui lui servent de complément. C’est sans contredit l’idée la plus heureuse qui soit tombée dans la tête d’un homme de goût, pour avancer la connaissance des langues anciennes. Celui qui, pour comprendre un texte, se trouve réduit à recourir au dictionnaire ou à la traduction en langue vulgaire, est obligé de s’avouer à lui-même qu’il est à peu près étranger à la langue de ce texte, puisqu’il ne la comprend que dans la sienne ; et de cette réflexion habituelle, il résulte je ne sais quel découragement ; mais celui qui devine le grec et le latin à l’aide du grec et du latin même, loin d’être humilié, est au contraire continuellement animé par le double succès d’entendre l’interprétation et par elle le texte. Il faut avoir éprouvé cette espèce d’émulation de soi-même à soi-même pour la concevoir parfaitement. Je sais que l’idée de ces traducteurs n’est pas nouvelle, et que les anciens grammairiens l’avaient employée pour expliquer aux Grecs leurs propres auteurs, bien moins intelligibles alors pour la foule des lecteurs qu’on ne le croit communément[2].

  1. Un amiral anglais m’assurait, il n’y a pas dix ans, qu’il avait reçu ses premières instructions dans le Livre du jésuite. Si les événements sont pris pour des résultats, il n’y a point de meilleur livre dans le monde. Dans le cas contraire, tous les livres étant égaux, ce n’est plus la peine de combattre pour la supériorité dans ce genre.
  2. On est assez porté à croire qu’il en était dans l’antiquité comme de nos jours, et que tout ce qui n’était pas tout à fait peuple ou pour mieux dire plebe lisait Homère et Sophocle, comme on lit aujourd’hui Corneille et Racine. Cependant rien n’est plus faux. Pindare déclare expressément qu’il ne veut être entendu que par des savants. ( Olym. II, str. vv. 149, 599. ) Une Jolie épigramme de l’anthologie, dont je n’ai pas retenu la place, fait parler Thucydide dans le même sens ; Ω φιλος, ει ςοφος ει, λαβε μ ες χερας etc. Il fallait donc traduire Thucydide en grec pour les Grecs, à peu près comme dans les temps modernes Pamelius a traduit Tertullien en latin, dans l’édition qu’il a donnée de cet énergique apologiste. Il y a plus : dans le dialogue de Cicéron, sur l’orateur Antoine, que Cicéron vient de louer pour sa grande habileté dans les lettres grecques, il déclare cependant qu’il n’entend que ceux qui ont écrit pour être entendus, et qu’il n’entend pas le mot des philosophes ni des poëtes, (De Orat. c. lix.) Ce qui est à peine explicable. Wetstein n’était donc pas trop paradoxal lorsqu’il avançait (Dissert. de acc. grec. pag. 59) « que les anciens auteurs grecs, et surtout Homère, n’étaient pas plus compris par les Grecs qui suivirent, qu’un Flamand n’entend l’allemand ou l’anglais. » et Burgess a pensé de même « que, dans les plus beaux temps de la langue grecque, celle d’Homère était morte pour les Grecs. » (Obsoleverat.) V. Ric. Dawes Miscell. edit. Burghesii, Oxon, 1785, in-8o, pag. 416 ; et Will. in proleg. VI not.