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Page:Maistre - Du pape suivi de l'Église gallicane, Goemaere, 1852.djvu/158

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un tact souverain, qui peut-être n’ont jamais été égalés. C’est par ce sentiment exquis de la souveraineté qu’il jugeait une secte, ennemie, comme sa mère, de toute hiérarchie, de toute subordination, et qui, dans toutes les secousses politiques, se rangera toujours du côté de la révolte. Il avait vu d’ailleurs les papiers secrets de Quesnel[1], qui lui avaient appris bien des choses. On a prétendu, dans quelques brochures du temps, qu’il préférait un athée à un janséniste, et là-dessus les plaisanteries ne tarissent pas. On raconte qu’un seigneur de sa cour lui ayant demandé, pour son frère, je ne sais quelle ambassade, Louis XIV lui dit : Savez-vous bien, monsieur, que votre frère est violemment soupçonné de jansénisme ? Sur quoi le courtisan s’étant écrié : Sire, quelle calomnie ! je puis avoir l’honneur d’assurer V. M. que mon frère est athée ; le roi avait répliqué, avec une mine toute rassérénée : — Ah ! c’est autre chose.

On rit ; mais Louis XIV avait raison. C’était autre chose, en effet. L’athée devait être damné, et le janséniste disgracié. Un roi ne juge point comme un confesseur. La raison d’État, dans cette circonstance, pouvait être justement consultée avant tout. À l’égard des erreurs religieuses qui n’intéressaient que la conscience et ne rendaient l’homme coupable que devant Dieu, Louis XIV disait volontiers : Deorum injuriæ diis curæ. Je ne me souviens pas du moins que l’Histoire l’ait surpris à vouloir anticiper à cet égard sur les arrêts de la justice divine. Mais quant à ces erreurs actives[2] qui bravaient son autorité,

  1. Lorsqu’il fat arrêté à Bruxelles, par l’ordre du roi d’Espagne, on trouva dans ses papiers tout ce qui caractérise un parti formé. ( Volt., Siècle de Louis XIV. tom. III, chap. xxxvii.) Autre projet plus coupable, s’il n’avait pas été insensé, etc. Ibid.
  2. L’athéisme, dans notre siècle, s’étant uni à un principe éminemment actif, l’esprit révolutionnaire, ce redoutable amalgame lui a prêté un air d’activité qu’il tenait seulement d’une circonstance accidentelle et peut-être unique. En général, l’athée est tranquille. Comme il a perdu la vie morale, il pourrit en silence et n’attaque guère l’autorité. Pour l’honneur du genre humain, l’athéisme, jusqu’à nos jours peut-être, n’a jamais été une secte.