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Page:Maistre Xavier de - Oeuvres completes, 1880.djvu/197

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tirer de ma monture. Lorsque je me sentis bien en selle et arrangé de mon mieux, certain de n’avoir rien à craindre des voleurs ni des faux pas de mon cheval, je crus l’occasion très favorable pour me livrer à l’examen du problème que je devais résoudre touchant la prééminence de la raison ou du sentiment. Mais la première réflexion que je fis à ce sujet m’arrêta tout court. Est-ce bien à moi de m’établir juge dans une semblable cause ? me dis-je tout bas ; à moi qui, dans ma conscience, donne d’avance gain de cause au sentiment ? – Mais, d’autre part, si j’exclus les personnes dont le cœur l’emporte sur la tête, qui pourrai-je consulter ? Un géomètre ? Bah ! ces gens-là sont vendus à la raison. Pour décider ce point, il faudrait trouver un homme qui eût reçu de la nature une égale dose de raison et de sentiment, et qu’au moment de la décision ces deux facultés fussent parfaitement en équilibre…chose impossible ! il serait plus aisé d’équilibrer une république.

Le seul juge compétent serait donc celui qui n’aurait rien de commun ni avec l’un ni avec l’autre, un homme enfin sans tête et sans cœur. Cette étrange conséquence révolta ma raison ; mon cœur, de son côté, protesta n’y avoir aucune part. Cependant il me semblait avoir raisonné juste, et j’aurais, cette occasion, pris la plus mauvaise