Page:Maistre Xavier de - Oeuvres completes, 1880.djvu/26

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Quel contraste entre ces bagatelles d’une plume légère et l’étude du Lépreux, si élevée et si touchante ! Les souffrances de cet infortuné, réduit à mener, parmi les hommes qu’il aime et qui le repoussent avec horreur, l’existence d’un condamné à mort, ses déceptions cruelles, ses sentiments sans cesse froissés, ses luttes terribles, sont retracés avec une vérité si peu déclamatoire et si poignante que cette production exquise nous semble être le chef-d’œuvre de l’auteur. On relit le Lépreux, a-t-on dit avec justesse, on ne l’analyse pas.

Les derniers récits, tirés également de faits véritables, resteront comme des modèles de narration. Si les Prisonniers du Caucase offrent un tableau vigoureux et coloré, on trouve dans la Jeune Sibérienne un pathétique sobre et profond. Le talent de conter est un don chez Xavier de Maistre ; il sait l’appliquer diversement, suivant un plan simple et uni, et ne recherche ni les artifices de style ni les inventions romanesques. Il peint d’après nature, au vrai comme on disait jadis, se bornant à accuser çà et là le relief par un trait de fine raillerie ou d’observation délicate. Sous le titre d’Élisabeth, ou les Exilés en Sibérie, Mme Cottin avait déjà raconté l’histoire de la pieuse et vaillante Prascovie ; mais avec quelle sentimentalité vulgaire ! et combien le lecteur est plus touché de la réalité, empreinte d’une émotion pénétrante et exprimée avec un art délicieux, qui peut-être s’ignorait lui-même !

Qu’aurait-il ajouté à ces esquisses, viatique de sa légère et pure renommée ? La fécondité, il l’avoue, lui avait été refusée. Puis, lorsqu’on sollicita une suite à ses œuvres déjà complètes, le temps pesait sur lui, et il se regardait, non sans quelque raison, comme un étranger dans la