Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/111

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qu’une bienveillance condescendante, d’autres vies se déroulaient plus près du sol, moins empesées de supériorité et d’idéologie.

Comme il revenait d’étudier les facteurs de l’évolution et toute la leçon de M. Rubensohn sur les hypothèses biologiques, Augustin trouva sa sœur dans la cuisine, debout contre le fourneau, surveillant du lait tout en lisant ses leçons. Christine, le livre en main, récitait d’une voix appliquée et rapide, coupée d’aspirations d’air brusques comme des sanglots, destinées à fournir sa matière première à l’émission de voix suivante. Mais en même temps, elle surveillait la casserole, en petite fille renseignée, que les ébullitions de lait ne surprennent pas. Augustin s’empara du livre avec cette taquinerie dominatrice qu’il affectait parfois pour sa sœur.

C’était un de ces manuels de maisons religieuses, cartonnés de jaune, signés en simples initiales de Frères Quatre-Bras. La page ouverte donnait la liste des grands hommes du siècle de Louis XIV, leurs dates et le nom de leurs œuvres. Augustin lut tout haut : « Parmi les grands philosophes, il faut citer Bossuet (1629-1704) et Fénelon (1651-1715). » Il éclata de rire.

— Laisse mon livre, toi, cria Christine outrée. C’est Mère Marie des Cinq-Plaies qui a dit de l’apprendre. Elle le sait aussi bien que toi, peut-être.

— Des Cinq-Plaies ! fit Augustin, plein d’une déférence affectée. Oh ! alors ! ! !…

Les yeux noirs de la petite prirent leur teinte dure et fermée. Elle le fixa une seconde, glacée, sans parole et lui tourna le dos.

Que sanctionnait-elle par ce dédain et ce silence ? Vraisemblablement plus qu’une raillerie personnelle à l’égard de ses Mères, plus même qu’une tentative de critique contre un entourage cher. Elle éprouvait pour le petit monde des Ursulines une tendresse à peu près aussi forte que l’horreur d’Augustin pour ses cours de récréation à lui. Par une combinaison miraculeuse d’anciennes auto-