Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/113

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toutes gardant ce même air de restriction, de surveillance de soi et d’autrui contre l’infinie variété des périls ; lorsque tous les matins, les deux petites sœurs, Christine et Suzanne, même robe blanche et bleue, même ruban de natte, même petit pas posé, l’une ingénue et docile, l’autre importante et ingénue, se donnaient la main pour passer le vieux porche, la grave maison, comme elle avait fait auparavant pour leurs grand-mères et leurs mères, semblait fermer, sur ces enfants, des bras.

Des regards de douze ans sont profonds. Outre une intention possible de sarcasme, peut-être discernaient-ils dans les paroles d’Augustin et d’autres semblables que de temps en temps il ne retenait pas, le péril souvent dénoncé de « soumission aux jugements du monde », de « flottement à tout vent de doctrine », presque de péché contre la vertu théologale de Foi, certainement de « rationalisme », danger dont les quatre causes énumérées au catéchisme expliqué à l’usage des maisons d’éducation chrétienne, sont, comme chacun sait, la vaine curiosité, l’ignorance, les passions et l’orgueil.

Il était très vrai qu’Augustin, imitant Vaton, éberluait trop souvent Christine de raisonnements extraordinaires. Il ne détestait pas d’essayer sur elle un petit effet de scandale. À table, déjà, l’année précédente, il avait parlé de saint François de Sales, de Pascal, de Port-Royal et du gallicanisme, en termes libres et prétentieux à la fois, dont s’amusait son père. Il fallait bien accepter certains moments rieurs en cette raide jeunesse.

Mais ce n’était là que la surface des choses. Augustin ne raillait ainsi que parce qu’existaient en profondeur d’autres préoccupations dont il se taisait. Ces moqueries sur des sujets inoffensifs exprimaient en une autre langue ce que recouvrait précisément son silence sur de lourds sujets voisins. Peut-être était-ce cela que devinait obscurément Christine.

Dès la fin du premier trimestre, Augustin sentit naître une situation qui ne fit que se confirmer par la suite.