Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/121

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Comme il vient, pour la première fois depuis qu’il lit le texte célèbre, d’apercevoir, malgré un recul de plus de deux siècles, Pascal lisant et écrivant devant lui, Augustin contemple maintenant un autre personnage à travers une distance bien plus grande encore, une individualité douce, simple et très mystérieuse, parlant, souffrant comme l’un de nous et toutefois suspecte de quelque effrayante identité avec le Très-Haut. Sans doute, il y a les précisions dogmatiques. Mais ce que Pascal montre à travers les pénombres, c’est moins le Verbe du dogme trinitaire que Jésus dans son humanité, dont il va verser tout le sang. Ainsi dut le voir, il y a deux mille ans, quelque disciple galiléen, pas très informé encore, mais docile et soupçonneux de quelque grand secret.

Ce corps humain blanchâtre, étendu sous les Oliviers, ce gisant semblable à tous les autres, écrasé, pitoyable, suant le sang devant la mort, cet homme des basses classes, timide, débile, d’épaules étroites, assez peureux, petit diseux de bonne aventure, mystique et magicien, en dégoût aux grands juifs, totalement ignoré des proconsuls rasés, maîtres de la terre, il est tout cela, et autre chose. Une Présence formidable, une Puissance de Cause Première, joue autour de cette plate douleur de pauvre homme. Elle pénètre ce chétif, elle le traverse, sans l’arracher à son incognito terrifiant. Cette extrémité de bassesse humaine est accolée à cette cime.

Non qu’on distingue rien encore des Pâques prodigieuses, dans ces ténèbres du Jeudi Saint. C’est une puissance masquée qui baigne ce moribond, sans qu’on sache si elle descend sur lui ou s’en exhale, ni pourquoi elle laisse dédaigneusement la Mort et la Douleur frapper, se jouer, faire saigner et souffrir, comme si elles se trompaient d’homme. Ce jardin plein de nuit, rouge de torches, est inintelligiblement lugubre. Il faut parler bas, s’agenouiller, ne pas dormir, pendant qu’agonise Jésus.

Est-ce le tutoiement ? ou le mot d’agonie ? ou cette vision de bras cloués, raidis à angle droit, en un supplice de