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brute ? Augustin ne peut dire pour quelle raison précise et spécifiable, mais son cœur n’est que cire, où pénètrent, tournent, fondent, et coupent les mots de ce gisant. Des frémissements parcourent son corps, des pieds à la nuque. La pendule-réveil, posée sur la cheminée, bat dans sa boîte ouverte, d’un petit son méticuleux. C’est le seul bruit de la maison.

D’un geste amolli de malade, Augustin repose le livre des « Pensées » sur la table ronde auprès de lui, tout ouvert, les feuilles contre le bois. Cette marée de misère et de Toute-Puissance qui déferle des Oliviers a fini par l’envelopper, lui, Augustin, après Pascal (après bien d’autres), dans ces mêmes flots où baigne le Christ.

Jésus lui parle comme à Pascal : « Je pensais à toi dans mon agonie. » Aucune distinction entre les deux âmes ; celle qui écoute en ce moment même, et celle qui, voici deux cent cinquante ans, entendit ces paroles, dans les effusions et les larmes d’une méditation de saint.

Augustin ne peut se méprendre : c’est bien lui qui se sent aimé, choisi, sollicité. Une sorte d’appel pressant et murmuré effleure son cœur comme un petit souffle.

Le silence où se propage cet appel est différent des autres silences : milieux inertes, simples absences de bruit. C’est le mutisme des attentes, encore vibrant du message qu’il vient de transmettre, attentif et chargé, tout pénétré d’une terrible douceur. Augustin se sent, d’être distingué par Dieu, une confusion à s’évanouir.

Plus tard, bien plus tard, lorsque, ayant eu le temps d’interpréter et de comparer, il revoit ces moments tels qu’en réalité ils furent, un des points suprêmes de sa vie, il réfléchit qu’à d’autres dates, l’appel se fût composé avec des préoccupations sans nombre pour lui et pour les siens, des questions d’argent, de santé, de carrière, des circonstances extérieures encombrées, toutes les lettres de change tirées sur le destin.

Et qu’au contraire, à cette date-là, et dans la jeunesse de sa pensée, tout était déblayé, net, expectant, réduit à sentiel