Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/150

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l’habitude qu’ils avaient d’être ensemble nourrissait sans paroles leur communauté d’âme.

Toutes les variétés de l’espérance, de l’élation et du bonheur avaient peu à peu succombé aux coups multipliés des sensations nouvelles, et même il ne restait de celles-ci que leur partie commune : l’élargissement et l’étrangeté.

Paris fut là. Augustin, son père et leur valise s’écoulèrent dans un fleuve humain, composé du ruissellement de tous ces hommes et de bien d’autres, sous les grands édifices de verre, de fonte et de nuit. Des gens savaient leur chemin dans ces remous, presque tous. Quelques-uns d’une sécurité inerte : des porteurs chargés de très belles valises, aux noms d’hôtels d’Italie ou d’Égypte. Les messieurs propriétaires des valises, le savaient aussi, d’une indolente science, partie infime de la notion beaucoup plus vaste des grands parcours internationaux.

Des messieurs en pardessus de voyage et une jeune fille de type anglo-saxon, blonde, de très grande taille, regardaient une locomotive immense, qui poussait de grands sanglots métalliques à des intervalles mathématiquement égaux. Augustin s’aperçut qu’il remorquait, sans qu’il sût pourquoi, ce petit incident perdu.

Les conversations paternelles de la dernière demi-heure lui revinrent : « Si nous prenons la malle avec nous dans la voiture, c’est quarante sous et cinq de pourboire, et une demi-heure d’attente, probablement. Si nous la donnons à Duchemin, c’est cinquante sous et six de tramway. Nous prendrons la voiture. »

Le fiacre les mena au petit trot, sous une traditionnelle bruine, le long de boulevards sans nom qu’on quitta pour des rues sombres et populaires. Aux maisons d’angles, des plaques bleues peu lisibles épaississaient l’étrangeté des sites par les éclaircissements eux-mêmes obscurs. M. Méridier ne manquait pas d’offrir quelques identifications ténébreuses qui, la minute d’après, renforçaient l’anonymat de Paris.