Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/170

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telle indiscutable. Des bruits de grosse vaisselle incassable traversaient les mots et les hurlements.

Les initiatives de l’affirmation partaient presque toujours du clan libre penseur, et les voix catholiques ne se faisaient entendre, que pour les répliques.

— Curieux phénomène, remarquait Augustin.

— N’est-ce pas un peu de lâcheté ? demandait Bernier, opinion que Paulin Zeller nuança avec sa délicatesse habituelle !

— Nos certitudes sortent plus que la leur des régions intimes de notre conscience. On aime peu lever le voile sur ces retraites.

Augustin appuyait :

— Leurs opinions à eux (justes ou fausses, ce n’est pas la question) sont produits intellectuels plus qu’œuvres de sensibilité. Comme tels, elles recherchent volontiers précision et contrôle dans l’accord avec autrui. Moins personnelles et plus communes, dans tous les sens du mot, l’exposition en place publique est de leur nature.

— On n’en aurait que plus de mérite, insista Bernier dont la simplicité fit souvenir Augustin de l’abbé Amplepuis.

Il ne dit rien, mais se rappela la conduite de Bernier. Les dimanches des premières semaines, avant qu’il eût obtenu la permission de sortir dès sept heures du matin, il ne déjeunait pas. Il passait des cubes de pain à la presse hydraulique de ses mains, et les empochait. Il méprisait le chocolat dominical. Pis encore : il transmettait stoïquement au voisin le savoureux liquide. La fumée du sacrifice encensait ses narines, Jupiter hiératique, immobile et berné.

Augustin ne comprenait pas, jusqu’à ce qu’il l’eût vu un jour entrer à Saint-Étienne-du-Mont, à la première messe basse qui suivait sa sortie et y communier. Ô Bernier Félix ! naïf, fort et doux, Héraklès enfant ! vous aviez, vous aussi, la pudeur de votre vie intérieure !