Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/59

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papa » qu’il n’employait plus. Ainsi comprirent-ils l’un et l’autre, en même temps, que cette conversation avait valeur de baume, et ils s’en allaient tous les deux, l’enfant doucement gai comme auprès d’un convalescent, le père vaguement protégé.

Sa famille ressemblait à toutes les familles de petite bourgeoisie, auxquelles appartiennent les agrégés des lycées provinciaux de catégorie modeste. Le chiffre des traitements, l’échelonnement des naissances, les mœurs familiales héritées composent autour d’eux un déterminisme d’humilités qu’ils supportent en général avec stoïcisme.

Ils ont même le don de ne pas le voir, comme d’autres s’endorment quand ils le veulent. L’hémisphère supérieur du monde baigne dans la pensée pure, la liberté, trente siècles d’idées générales, d’Hésiode à M. Bergson. Ces choses sont, comme chacun sait, le tout de l’homme. Dans l’hémisphère inférieur logent quelques petites nécessités, comme manger, se vêtir, vêtir et nourrir les siens. Elles forment le « surcroît », donné avec le reste, à toute âme qui sait les mépriser.

L’appartement assumait l’aspect spécial des logis à nombreux enfants. Dans les jours d’hiver, le linge des tout-petits séchait au grenier, pincé à des cordes tendues d’un mur à l’autre. La lessiveuse bouillonnait dans la cuisine, près du repas en train de cuire. Mme Méridier surveillait les deux. La grosse Catherine rinçait le linge dans un autre coin de la même cuisine. Magnifiquement massive, maussade et déhanchée, elle l’arrachait à la lessiveuse, l’égouttait, le tordait, le disposait en ronds dans une panière d’osier. Mme Méridier l’aidait en ces besognes. Toute seule, ensuite, la Catherine le portait, contre son flanc robuste, jusqu’au grenier qu’elle ébranlait de sa marche plantigrade.

Il y eut des années où bronchites, rougeoles et coqueluches s’installèrent dans la maison dès novembre et n’en partirent qu’à l’Ascension. Des pleurs fiévreux occupaient la journée et se prolongeaient dans la nuit. La pauvre Maman, ayant dormi trois heures, se trouvait toute levée