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le matin pour les toilettes, les déjeuners et les départs. La grosse Catherine, envoyée au lait et au pain, denrées quérables que les fournisseurs ne portaient pas, procédait à ce ravitaillement avec une inexcitable lenteur bovine, aucun incident domestique ne mordant sur son cuir.

Au retour du lycée, le père entrait à lents pas tristes. Il heurtait les chaises, renversait les pots, traînait partout sa gaucherie et sa bonne volonté. Il finissait par rester immobile, abaissant sur les petits lits des yeux de couleur invisible et plissés de détresse, et rien ne rappelait plus la liberté, la pensée pure, ni aucune de ces choses qui sont « le tout de l’homme ».

Seuls les dimanches surnageaient sur ces semaines troublées. Mais tout ce qui n’était pas de stricte obligation, premiers vendredis du mois, cérémonies du Tiers Ordre, fêtes secondaires, comme le huit décembre ou la Purification, perdues dans le prestige des grandes fêtes, s’écoulaient sans laisser sur la rive l’apport coutumier de messes et de communions, fixes bouées sur la fuite des jours. Sentant gauchir par places le cadre de son existence, la pauvre Maman disait : « Je ne sais plus comment je vis. »

Puis ces crises passaient. Les jours cessaient d’être mouvementés, redevenaient des jours sans histoire qui ne font point parler d’eux.

Par la force des choses, Augustin relevait surtout de la surveillance paternelle. Mais la vigilance de sa mère, capitale en tout ce qui concernait les choses matérielles, s’étendait de plus aux terres religieuses, exploitées par elle en faire-valoir direct. Une inexplicable solidarité de temps et de lieux associait les prières aux repas. Un régime d’union personnelle unissait les deux royaumes sous la même souveraineté.

La prière du matin, récitée, ainsi que jadis, entre la cuisine et la chambre à coucher, était hâtive, légère, aérée et comme mousseuse, à goût de chocolat et de départ. Elle vous retenait au lacis des Actes et des Commandements, tandis qu’on se jetait déjà dans la grande journée neuve.