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ni que son trajet n’en croiserait d’autres. Il ne voyait pas les professeurs. Il donnait dans les salles d’études, d’une voix postillonnante et eunuchoïde, une leçon hebdomadaire de trois quarts d’heure prise sur le temps des devoirs, oubliée dans un coin de la semaine, comme dans un couloir un balai. Il y réfutait (ainsi l’annonçait-il au début de chaque année) les principales « objections contre la Religion ».

Complètement ignorée des meilleurs élèves, qui se bouchaient les oreilles pour n’être point dérangés dans leurs versions latines ou leurs mathématiques, les autres coupaient cette conférence de questions grotesques posées d’un ton froid. Celle qu’un jour osa émettre le cadet des deux Lehugueur (est-il permis d’aller communier après avoir pris un clystère ? ) devint tout de suite célèbre. Elle lui valut beaucoup de considération sur la cour des moyens et même des grands, et jusque dans le monde des domestiques.

Il y avait un aide de cuisine, chauve, rieur, hideusement obèse, dont le visage sécrétait de l’huile. On l’appelait : « Mort-aux-mouches », à cause d’une manière qu’il avait d’écraser, d’un seul coup de torchon, toutes les mouches d’un billot à viande, sur le lieu même où elles pâturaient. Il roulait parfois sur la cour des moyens, jetant à la traverse quelques plaisanteries d’une jovialité enrouée, jamais terminées parce que sa toux coupait la rigolade. Mais il en gardait sur le visage un épanouissement si long, que celui-ci s’enchaînant à la plaisanterie suivante, il passait sa vie dans une gaieté sans fin.

Il dit à Lehugueur : « C’est vous qui avez demandé si on peut aller à la communion après avoir pris un lavement ? Sacré farceur ! sacré farceur ! » Les boules superposées de son corps et de sa tête tremblotaient d’une joie gélatineuse sur ses énormes jambes naines.

Ces arrangements dits « religieux » ne regardant que les internes, Augustin n’avait jamais eu à rencontrer l’Aumônier. Il entrevit un jour un petit vieillard rosé, montant