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contraire, se mettre d’accord, s’aimer et s’aider les uns les autres, on ne verrait plus ces malheurs ; il n’y aurait plus de gens qui possèdent beaucoup pendant que d’autres n’ont rien, et l’on ferait en sorte que tous soient aussi bien que possible.

Je sais bien que les riches, qui se sont habitués à commander et à vivre sans travailler, ne veulent pas entendre parler d’un changement de système. Nous agirons en conséquence. S’ils veulent enfin comprendre qu’il ne doit plus y avoir de haine et d’inégalité entre les hommes et que tous doivent travailler, tant mieux ; si, au contraire, ils prétendent continuer à jouir des fruits de leurs violences et des vols commis par eux ou par leurs pères, alors, tant pis pour eux : ils ont pris par force tout ce qu’ils possèdent ; par la force aussi, nous le leur enlèverons. Si les pauvres savent s’entendre, ils sont les plus forts.

Jacques. — Mais alors, quand il n’y aura plus de messieurs, comment fera-t-on pour vivre ? Qui donnera à travailler ?

Pierre. — Quelle question ! Mais vous voyez tous les jours comment cela se passe : c’est vous qui piochez, semez et fauchez, c’est vous qui battez le grain et le portez dans le grenier, c’est vous qui faites le vin, l’huile et le fromage, et vous me demandez comment on fera pour vivre sans les messieurs ? Demandez-moi plutôt comment les messieurs feraient pour vivre si nous n’étions pas là, nous, les pauvres imbéciles, travailleurs de la campagne et de la ville, qui peinons à les nourrir et à les vêtir et qui leur laissons prendre nos filles afin qu’ils puissent se divertir.

Il y a un moment, vous vouliez remercier les patrons parce qu’ils vous font vivre. Vous ne comprenez donc pas que ce sont eux qui vivent de votre travail et que chaque morceau de pain qu’ils mangent est enlevé à vos enfants ? que chaque cadeau qu’ils font à leurs femmes représente la misère, la faim, le froid, peut-être même la prostitution pour les vôtres ?

Qu’est-ce qu’ils produisent les messieurs ? Rien. Donc, tout ce qu’ils consomment est enlevé aux travailleurs.

Supposons que demain tous les ouvriers des champs disparaissent ; il n’y aura plus personne pour travailler la terre et tout le monde mourra de faim. Que les cordonniers disparaissent, et on ne fera plus de souliers ; que les maçons disparaissent, on ne pourra plus faire de maisons, et ainsi de suite. Que chaque classe de travailleurs vienne à manquer l’une après l’autre, avec elle disparaîtra une branche de la production et l’homme devra se priver des objets utiles ou nécessaires.

Mais quel préjudice ressentirait-on de la disparition des messieurs ? Ce serait comme si disparaissaient les sauterelles.

Jacques. — Oui, c’est bien nous, en effet, qui produisons tout ; mais comment ferais-je, moi, pour produire du blé si je n’ai ni terre, ni animaux, ni semence ? Crois-moi, il n’y a pas moyen de faire autrement ; il faut nécessairement être sous la dépendance des patrons.

Pierre. — Voyons, Jacques, est-ce que nous nous comprenons, oui ou non ? Il me semble vous avoir déjà dit qu’il faut enlever aux maîtres ce