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qui sert à travailler et à vivre : la terre, les outils, les semences, tout. Je le sais bien, moi : tant que la terre et les instruments de travail appartiendront aux maîtres, le travailleur devra être toujours un sujet et ne récoltera qu’esclavage et misère. C’est pourquoi, retenez bien ceci, la première chose à faire, c’est d’enlever la propriété aux bourgeois ; sans cela, le monde ne pourra jamais s’améliorer.

Jacques. — Tu as raison, tu l’avais dit. Mais, que veux-tu, ce sont pour moi des choses si nouvelles que je m’y perds.

Mais explique-moi un peu comment tu voudrais faire. Cette propriété enlevée aux riches, qu’en ferait-on ? On se la partagerait, n’est-ce pas ?

Pierre. — Pas du tout, et quand vous entendrez dire que nous voulons partager, que nous voulons prendre la place de ceux qui possèdent, sachez que celui qui dit cela est un ignorant ou un méchant.

Jacques. — Mais alors ? Je n’y comprends plus rien.

Pierre. — Et pourtant ce n’est pas difficile : nous voulons mettre tout en commun.

Nous partons de ce principe que tous doivent travailler et que tous doivent être le mieux possible. Dans ce monde, on ne peut vivre sans travailler ; si un homme ne travaillait pas, il devrait vivre sur le travail des autres, ce qui est injuste et nuisible. Mais, bien entendu, quand je dis que tous doivent travailler, je veux dire tous ceux qui peuvent le faire. Les estropiés, les impotents, les vieillards doivent être entretenus par la société, parce que c’est un devoir d’humanité de ne faire souffrir personne ; du reste, nous deviendrons tous vieux, et nous pouvons devenir estropiés ou impotents d’un moment à l’autre, aussi bien nous que ceux qui nous sont chers.

Maintenant, si vous réfléchissez bien, vous verrez que toutes les richesses, c’est-à-dire tout ce qui existe d’utile à l’homme, peuvent se diviser en deux parts. L’une qui comprend la terre, les machines et tous les instruments de travail, le fer, le bois, les pierres, les moyens de transport, etc., etc., est indispensable pour travailler et doit être mis en commun, pour servir à tous comme instrument de travail. Quant au mode de travail, c’est une chose qu’on verra plus tard. Le mieux serait, je crois, de travailler en commun parce que, de cette manière, on produit plus avec moins de fatigue. D’ailleurs, il est certain que le travail en commun sera adopté partout, car, pour travailler chacun séparément, il faudrait renoncer à l’aide des machines qui simplifient et diminuent le travail de l’homme. Du reste, quand les hommes n’auront plus besoin de s’enlever le pain de la bouche les uns aux autres, ils ne seront plus comme chiens et chats et trouveront du plaisir à être ensemble et à faire les choses en commun. On laissera, bien entendu, travailler seuls ceux qui voudront le faire ; l’essentiel c’est que personne ne puisse vivre sans travailler, obligeant ainsi les autres à travailler pour son compte ; mais cela ne pourra plus arriver. En effet, chacun ayant droit à la matière du travail, nul ne viendra certainement se mettre au service d’un autre.