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pourraient vouloir se soustraire. D’ailleurs, si, par le fait de la mauvaise éducation que nous avons reçue, il se trouve au début de la nouvelle société des hommes qui refusent de travailler, on en sera quitte pour les laisser en dehors de la communauté, en leur donnant la matière première et les outils. Ainsi, s’ils veulent manger, ils se mettront au travail. Mais vous verrez que ces cas ne se produiront pas.

Du reste, ce que nous voulons réaliser pour le moment, c’est la mise en commun du sol, de la matière première, des instruments de travail, des maisons et de toutes les richesses existantes. Quant au mode d’organisation, le peuple fera ce qu’il voudra. C’est seulement à la pratique qu’on pourra voir quel est le meilleur système. Ainsi, on peut prévoir que dans bien des endroits, on établira le communisme, ailleurs le collectivisme ; quand on les aura vus l’un et l’autre à l’épreuve, on acceptera certainement partout le meilleur des deux systèmes.

Jacques. — Cela aussi, je le comprends. Mais, dis-moi, qu’est-ce donc que l’anarchie ?

Pierre. — Anarchie signifie sans gouvernement. Je vous ai déjà dit que le gouvernement ne sert qu’à défendre les bourgeois, et quand il s’agit de nos intérêts, le mieux est de nous en occuper nous-mêmes. Au lieu de nommer des députés et des conseillers communaux qui vont faisant et défaisant des lois auxquelles il faut obéir, nous traiterons nous-mêmes nos affaires, et quand, pour mettre à exécution nos délibérations, il faudra en charger quelqu’un, nous lui dirons de faire de telle ou telle manière et non autrement. S’il s’agit d’une chose qui ne puisse pas se faire du premier coup, nous chargerons ceux qui sont capables de voir, d’étudier et de faire des propositions ; mais, de toute manière, rien ne se fera sans notre volonté. Et ainsi nos délégués, au lieu d’être des individus à qui nous avons donné le droit de nous commander, de nous imposer des lois, seront des personnes choisies parmi les plus capables, qui n’auront aucune autorité, mais seulement le devoir d’exécuter ce que le peuple aura ordonné ; en somme, on chargerait les uns d’organiser les écoles, par exemples, de faire les rues et de veiller à l’échange des produits, comme on charge aujourd’hui un cordonnier de faire une paire de souliers. — Voilà, en somme, ce qu’est l’anarchie.

Jacques. — Mais donne-moi encore quelques explications. Dis-moi comment je pourrai m’occuper, moi qui suis un pauvre ignorant, de toutes les choses que font les ministres et les députés ?

Pierre. — Et que font-ils de bon, ces ministres et ces députés, pour que vous ayez à vous lamenter de ne pas savoir le faire ? Ils font des lois et organisent la force publique pour tenir le peuple sous le joug dans l’intérêt des propriétaires. Voilà tout. De cette science, nous n’avons pas besoin.

Il est vrai que ministres et députés s’occupent de choses qui, en elles-mêmes, sont bonnes et nécessaires, mais c’est seulement pour les