Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/140

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À mesure qu’on s’en approchait, l’Océan, diminuant de profondeur devenait transparent comme du cristal et laissait entrevoir ses végétations étranges, ses arbres de corail, bleu, rose, jaune, vert, entre les branches desquels se jouaient des poissons multicolores.

La baignade terminée, je repris terre et quelle ne fut pas ma gêne en voyant venir à moi, sans peignoir cette fois, la popiné que j’avais aperçue quelque trois quarts d’heure auparavant ! N’aggravons pas les choses : elle avait conservé son tapa, mais ses démonstrations significatives m’indiquaient qu’elle était prête à le relever.

Béata, ainsi s’appelait cette beauté majeure mais peu farouche, ne demandait qu’à me combler de béatitude pour une somme qu’elle laissait à ma générosité le soin de déterminer. Cette vénalité me choqua : je m’étais cru aimé pour moi-même ; déception qui arrive plus d’une fois dans la vie ! Néanmoins je ne voulus pas, pour une misérable question d’argent, perdre l’occasion d’étudier sur le vif les femmes canaques. Je m’exécutai et suivis dans sa case l’hétaïre bronzée. Avait-elle un époux ? J’avoue à ma honte que je ne songeai pas un instant à le lui demander. Plus tard, j’appris que, tout comme madame de Framboisy, elle était veuve de cinq ou six maris.

Les habitations indigènes n’ont point de portes, ces sauvages communistes ne se volant pas entre eux comme les civilisés. Pendant que j’étais en conversation intime avec Béata, le dernier né de celle-ci, gamin de quatre à cinq ans vint, du dehors, nous regarder avec une innocente curiosité. « Tabou[1] ! » lui cria la mère sans

  1. Mot usité dans toute l’Océanie pour signifier une interdiction et donné aussi aux objets qui la symbolisent.