Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/139

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sentation officielle à leurs nouveaux conjoints, les veuves commençaient à se battre pour accaparer soit le plus beau, soit le « sergent cambuse » (fourrier), très recherché sur la place.

De ces deux popinés, on appelait l’une Manjô ou quelquefois Rosalie, car elle avait été vaguement baptisée ; l’autre, Éva, était plus connue sous le surnom de « la muette ». Elle avait jadis reçu en pleine poitrine la balle d’un factionnaire, au « qui vive ? » duquel elle ne répondait point, et pour cause. Le médecin français qui la sauva, obtint, seuls honoraires qu’elle pût lui donner, ses premières faveurs. Elle prodigua les suivantes à nombre d’élus et la fréquence des corps à corps amoureux finit par émousser ses sens, au point qu’elle s’oubliait à attraper des mouches au moment le plus pathétique.

J’étais allé, un jour, prendre un bain dans l’Océan Pacifique, exercice hygiénique qui eût été tout à fait agréable sans la perspective des requins, lorsque je croisai sur la plage une popiné déjà mûre, mais qui avait dû être remarquablement belle. Elle portait non le simple tapa, mais un peignoir assez propre, ce qui m’inspira de la déférence : je la laissai passer sans attenter à sa vertu. L’ayant perdue de vue, je me déshabillai en un tour de main et allai me jouer sur le sein azuré d’Amphitrite, le seul qui s’offrît libéralement à moi. Comme il faisait bon s’étendre de son long sur ces vagues mourantes, qui vous berçaient avec une chanson, prenant du soleil ou de l’onde tant qu’on en voulait ! On sentait comme la caresse d’une invisible main : au large, la mer frangeait d’argent la ceinture madréporique des récifs. Qu’ils étaient beaux, aussi, ces récifs !