Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/143

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à Oubatche, devenait tous les jours plus rare. Bouliac, fille de Béata, déjà mise à mal, cherchait à donner un père à son enfant. Le surveillant du télégraphe eût peut-être préféré une vestale, selon l’usage des hommes qui, ayant fort libéralement disposé de leur corps, n’entendent pas se mésallier à des roulures. Mais il n’y avait pas grand choix de sujets, puis Bouliac parlait couramment le français, cuisinait et lavait proprement : Dubois devint son heureux époux et le resta trois ans ; après quoi, il la congédia sans cérémonie, pour épouser de la main droite la fille d’un colon.

Ce ménage logeait dans un kiosque élevé en hâte, en attendant qu’on édifiât un bureau convenable que j’habiterais, abandonnant l’ancien à mon surveillant. L’administration coloniale était en veine de prodigalités : elle venait de voter un crédit de deux cent quarante mille francs pour la construction d’une route circulaire enveloppant l’île. Les chefs de poste et d’arrondissement, entre lesquels fut répartie cette somme, se contentèrent généralement de faire brûler les herbes recouvrant l’ancien sentier indigène et, en qualité de « gérants de caisse », mirent la caisse dans leur poche, vraisemblablement pour mieux la gérer. Trois ans plus tard, je fus, moi aussi, gérant de caisse et ne songeai pas un instant à attenter à la propriété de l’État. Pour un futur anarchiste ! j’en rougis.

Je prenais mes repas avec mes parents, mais regagnais ensuite mon bureau. L’ombre et la clarté se succèdent sans transition sous les tropiques : les nuits où la lune oubliait de paraître, on aurait cru errer dans la conscience d’un ministre, tant l’obscurité était épaisse. Quelles n’étaient pas les transes de ma mère, lorsque,