Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/196

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auprès d’elle. J’y pris place aussi et ne pus m’empêcher de remarquer la même expression de gêne sur tous les visages.

Cependant, un de ces hommes de la nature me passait la main sur le dos, de ce geste câlin, familier aux Canaques, qui est peut-être moins une caresse qu’une vieille habitude d’anthropophage en reconnaissance de steacks. Mon vêtement s’étant entr’ouvert sur la poitrine, je vois encore la grimace de dégoût et de haine que provoqua sur le visage de la popiné, jusqu’à ce jour si avenante, la vue de mes blancheurs pectorales. Il y avait là, toute l’exécration d’une race pour une autre à l’épiderme différemment coloré : je ne m’y mépris point.

D’autant plus que, l’un après l’autre, arrivaient de nouveaux indigènes, tous avec une physionomie des moins réjouissantes. Une intuition finit par s’éveiller en moi : ces hommes voulaient me tuer ; ils hésitaient ne se croyant peut-être pas encore assez nombreux pour lutter contre « un capitaine télégraphe » qu’ils pouvaient vraisemblablement supposer armé de la foudre, mais ce ne serait évidemment qu’un court répit.

L’image de mes parents, de ma mère surtout, surpris de leur côté et massacrés, se présenta aussitôt à mon esprit. Très heureusement, ma figure ne traduisit pas mes anxiétés : avec le plus grand sang-froid, j’annonçai à mes aimables compagnons mon intention de pousser ma promenade un peu plus loin et leur demandai d’aller, pendant ce temps, chercher un régime de bananes que je prendrais à mon retour. Sur ce, je me levai fort tranquillement : les noirs affamés, dupes de mon machiavélisme, me laissèrent aller.

Je fis ostensiblement quelques pas sans me presser,