Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/203

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qui les avait proscrits pour les dépouiller, utilisa leurs services… et les laissa exilés.

Le boulanger marseillais Étienne, brave démocrate condamné à mort avec Crémieux et commué à la déportation, se chargea de nous remettre au courant de la vie normale. Qui pourrait nier l’influence du milieu ? Nous revenons au bout de deux ans et demi écoulés en pays noir, passablement déshabitués des us et coutumes qui font la gloire de monsieur Joseph Prudhomme. Je me sentais le cerveau vide et la langue épaisse, hésitant dans les phrases les moins compliquées et sur les questions les plus courantes, au point de me demander parfois s’il convenait de dire « le pain » ou « la pain », « la hache » ou «  l’hache »… comme un policier, et si la légendaire bourrique à Robespierre n’était point contemporaine du maréchal Lannes.

Cependant, l’insurrection suivait son cours. L’administration avait dû prendre une grande mesure : armer les transportés ; les plus importants de ces nouveaux auxiliaires furent les forçats politiques, détachés à Canala, qui, l’ex-membre de la Commune Amouroux en tête, offrirent d’eux-mêmes leurs services au gouvernement leur geôlier. Les vaincus de 71 étaient patriotes ! Beaucoup, parmi les déportés, estimèrent que ce n’était pas le rôle de leurs camarades d’aller combattre des insurgés et que, si dure que fût la vie du bagne, l’espoir d’une grâce ne devait pas amener de telles compromissions. Amouroux, ambitieux et travailleur, était un de ces bilieux, de physique maladif mais d’esprit tenace, qui veulent arriver et qui arrivent. La mort l’a surpris, cinq ans plus tard député de la Loire-Inférieure. Lui et ses camarades, en attendant mieux, gagnèrent à