Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/219

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déjà esquissé son portrait physique ; au moral, c’était un redoutable ivrogne qui ne reposait que vide à ses côtés le litre de tafia qu’il avait porté plein à ses lèvres. Il entrait alors dans un état terrible, saisissait une trique et parcourait son village en frappant à tour de bras sur ses sujets. À jeun, il prostituait ses sœurs aux soldats pour une pièce de quarante sous. Aussi son domaine n’était-il guère peuplé que d’éclopés et d’hétaïres.

Un peu plus tard, j’eus la chance d’arracher à l’esclavage, peut-être même à la strangulation deux popinés des villages révoltés. Elles s’étaient échappées de la tribu de Nakéty, qui les gardait avec une jalousie propriétaire, pour se réfugier dans celle de Thio, où les attirait une inclination amoureuse. Les auxiliaires vinrent réclamer leur bétail humain ; mais, le poste militaire ayant été retiré depuis peu, je me trouvais la seule autorité du district et en profitai pour imposer ma médiation. Les fugitives, au lieu d’être rendues à leurs maîtres, sort qu’elles annonçaient l’intention d’éluder en se pendant, furent acquises par leurs amoureux, moyennant une rançon de monnaie calédonienne, et les deux parties s’en retournèrent dos à dos, très satisfaites.

À Thio, j’avais retrouvé Pricot, le raseur du Var, sa femme, qui m’appelait le Régent (pour gérant !) long comme le bras, et leur enfant, de plus en plus malmené par les auteurs de ses jours. On formait des manipulateurs pour les postes secondaires : j’enseignai le maniement du Morse à mon ancien compagnon de voyage, qui partit bientôt, fier comme Artaban, pour une destination quelconque. Il fut remplacé par un surveillant métropolitain, Caisson, qu’accompagnait un jeune facteur français, fils d’un déporté mort à Uaraï. Mon Mercure avait