Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/225

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façon coquette et non farouche le drapeau du fonctionnarisme républicain, épouser la fille de quelque colon argenté et amoureux de la particule, puis laisser voguer la galère.

Ce n’était pas mon idéal : certes, le service télégraphique semi-indépendant semi-périlleux, si différent de la sujétion du bureau parisien, cette vie de plein air et de naturalisme primitif, me plaisaient bien. La vraie liberté n’était-elle pas là, bien plus que dans les tournois oratoires ou les luttes sanglantes des partis politiques ?

Oui, mais c’est la vie végétative du mollusque, la seule digestion béate sous un beau ciel bleu. Mieux ne vaut-il pas l’enfer où l’on pense que le paradis où l’on somnole éternellement ? De fait, resté en Nouvelle-Calédonie, je serais aujourd’hui quelque grave fonctionnaire à peine radical, ne connaissant l’anarchisme que de très loin, comme un rêve affreux, et ses adeptes que comme des criminels !

Mon père, lui, s’ennuie désespérément dans ce pays d’où toute vie publique se retire avec les déportés. Plus de presse démocratique, de polémiques fougueuses, d’élections républicaines emportées d’assaut ! Privés de leur appoint, les journalistes locaux brisent leur plume, Locamus s’adonne aux conserves alimentaires : Nouméa va redevenir la ville des épiciers.

Je vois les souffrances de mon père, qui se meurt faute de débouchés ouverts à son activité. Il se remémore aussi les heureux jours d’autrefois et ces souvenirs, combinés avec le soleil des tropiques, l’étouffent ; les coups de sang se succèdent : il est temps que nous partions.

Allons, le sort en est jeté ! Six années de repos forcé,