Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/230

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ancien bureaucrate devenu gâteux à la suite de mauvaises spéculations sur les mines ; peu encombrant, il n’ouvrait jamais la bouche et se contentait de se promener de long en large dans le réduit, en se frottant la paume des mains d’un geste automatique. Son voisin était encore un détraqué de la discipline et surtout de la théorie militaires, un garde-chiourme alsacien, qui avait l’unique mais peu divertissante marotte de réciter à haute voix, des heures durant, l’école du soldat. Mais le plus lamentable, le plus sympathique aussi de ces pauvres insensés, était un gendarme beau, grand, fort, à physionomie restée ouverte et intelligente en dépit de son triste métier. Naturellement imaginatif et indépendant d’esprit, il était devenu détraqué au contact prolongé de ses co-Pandores ; il se persuadait que ceux-ci avaient installé dans leur compartiment un téléphone d’une forme particulière pour recueillir ses moindres paroles, je crois même sa pensée, — Edison n’a pas encore trouvé celle-là, — afin de moucharder auprès des chefs hiérarchiques. Comme il connaissait bien ses collègues ! Soigné ou simplement traité avec douceur, il en fût guéri ; jeté avec les fous dans une cage sans air et sans lumière, sa folie s’empira, devint incurable : pendant toute la traversée, nous assistâmes au naufrage de plus en plus poignant de cette intelligence.

— Oui la terre a la forme d’une colonne torse, c’est moi qui l’ai découvert et je vais vous le démontrer, moi fils de Sodome et qui n’en rougis pas ! répétait le malheureux, le plus souvent avec douceur mais parfois aussi avec colère. — « Au commandement de droite, continuait son voisin le garde-chiourme, sur le talon gauche, d’un quart de cercle à droite, en élevant un peu la