Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/229

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naires ne firent qu’à contre-cœur. Non seulement, cette victime de la Loi n’avait reçu aucune indemnité, mais encore était-elle dédaigneusement reléguée avec les parias dont le casier judiciaire était à jamais maculé.

Oh ! la justice du Code, quelle sinistre farce !

Deux autres, commués des travaux forcés à la réclusion en France (!), pendant les quatre mois qu’a duré le voyage, ont été confinés jour et nuit sur un espace d’un mètre carré, au pied du grand mât, ballottés par le roulis et le tangage. L’un était quelconque, l’autre une créature étrange, homme ou femme, on n’eût pu le dire. Sa voix, d’un acuitisme troublant, évoquait le souvenir des châtrés de la chapelle sixtine, tandis que sa face glabre, ses formes arrondies, ses manières onduleuses indiquaient de suite qui il ou plutôt elle était. Aucun indice viril ne subsistait chez ce troisième sexe et, sans doute, la nature l’avait-elle créé ainsi, intermédiaire entre le mâle et la femelle, ayant dépassé celle-ci sans atteindre celui-là.

Qu’on pense dans quel sens le bagne avait développé cette anomalie !

Notre cage communiquait avec une autre beaucoup plus petite, mais celle-ci hermétiquement verrouillée où furent enfermés plusieurs fous qui tous étaient victimes bien plus de l’incohérence sociale que de défectuosités de leur organisme. La première nuit, nous fûmes réveillés par des sons inarticulés, rauques, épouvantables : ils émanaient de la gorge d’un contre-maître que la vie abrutissante du bord, faite de bigoterie, de brutalité, de misères et d’autoritarisme inflexible, avait absolument animalisé. Il mourut au bout de quelques jours, nous laissant quatre compagnons. L’un d’eux était un