Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/260

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dent. Celui-ci, avec la plus mauvaise grâce du monde, dut enfin accorder la parole.

« Citoyens, commença Tortelier, au nom des groupes anarchistes et en mon nom personnel… »

Il ne put en dire davantage : une tempête de huées, de sifflets, s’éleva, couvrant sa voix, forte cependant : quoi ! un misérable anarchiste osait se faire entendre après les sublimes prophètes du socialisme ! Quelle impudence ! Aussi, ils le lui firent bien sentir, ces défenseurs de l’égalité et de la fraternité. Ils avaient pu, par erreur, forcer la main à Vaillant, mais comme ils se rattrapèrent ! À cinq mille contre ce seul homme, ils réussirent à étouffer sa voix.

Quoi ! c’est cette meute d’esclaves qui devrait nous conduire à la liberté !

Tortelier, que je voyais pour la première fois, fut admirable de courage. Pendant un mortel quart d’heure, adossé au bureau, les bras croisés sur sa poitrine, il tint tête à ce déchaînement d’écume et de bave, d’insultes, d’invectives, à l’hostilité du bureau. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche, l’orage redoublait : à la fin, il se retira calme et dédaigneux.

Une telle attitude me frappa profondément : à n’en pas douter, elle décelait la conviction sincère.

Qu’était-ce donc que l’anarchie ? Qu’étaient-ce que les anarchistes ?

Jusqu’à ce jour, les jugeant d’après les journaux, je les avais considérés comme des fous ou des mouchards payés pour faire tomber la République au profit des vieux partis. L’engouement de Louise Michel pour ce groupement nouveau me semblait une quasi-démence, explicable seulement par sa nature enthousiaste de