Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/279

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Je ne partageai pas cette appréciation : il fallait être archi-aveugle pour voir un adepte de la théorie Ni Dieu ni maître dans l’écrivain qui regrettait le bon temps où saint Louis faisait brûler la langue aux blasphémateurs et qui s’efforçait de détourner contre les seuls juifs les colères populaires. Débarrasser la banque chrétienne d’une rivale heureuse, faire oublier l’expropriation du capital productif en brûlant quelques chiffons de papier chez Rothschild, remplacer la guerre sociale par la religieuse, tirer les marrons du feu pour la monarchie cléricale, dont Drumont ne gourmandait que l’hésitation lâche, ah bien, non !

Lorsque, à Sainte-Pélagie je me trouvai en contact avec Morès, mes idées ne se modifièrent pas. Le marquis révolutionnaire était un charmant co-détenu, crâne jusqu’au romantisme, d’une érudition agréable et, sans les calomnies impudentes du journal drumontiste où il écrivait, il est probable que le hasard nous faisant nous rencontrer nous eût laissé très courtois vis-à-vis l’un de l’autre : tirez les premiers messieurs les Français ! Mais, entre nos partis, la lutte est à mort : l’un s’appelle la réaction, l’autre la révolution.

Je sortis de prison à la fin de juillet 1891. Le cabinet Constans ayant fait mine de vouloir m’expulser, j’avertis son chef que je lui contestais ce droit devant le Conseil d’État. Pour éviter les criailleries des journaux, l’omnipotent ministre suspendit, sans le rapporter, le décret qu’il avait rendu quinze mois auparavant. Il était réservé à son successeur Loubet de l’appliquer, les vertueux imbéciles étant généralement les plus féroces.

À mon retour au soleil, l’allure du mouvement anarchiste me parut bien changée. Cinq ans auparavant,