Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/51

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sans hésitation sur ce sol mouvant pour y chercher des crabes, tandis que l’Européen risque à chaque pas de s’enliser.

Par le dialecte et les mœurs, les indigènes de Kunié se rattachent aux Nouméas et aux Touaourous. Ils ont eu avec eux de fréquentes guerres et les habitants de la grande terre les dépeignaient dans leurs légendes comme un peuple de géants. Le dernier grand chef de l’île des Pins fut Vandégou, brave potentat, qui, par amour des petits cadeaux, se laissa cajoler simultanément par les Anglais et les Français jusqu’au jour où, la grâce des maristes aidant, il se déclara sous le protectorat des seconds. Sa fille Hortense fut proclamée reine, au mépris absolu de tous les usages : cette innovation révolutionnaire n’a qu’une explication, mais toute plausible : Hortense avait été élevée par les sœurs et devait être l’instrument docile des missionnaires. Les bons Pères savent violer les usages dynastiques lorsque leur intérêt les y pousse !

Le doyen des serviteurs de Dieu, à l’île des Pins, était le Père Goujon. Un nom prédestiné, car il aimait fort le poisson et avait un moyen original de s’en procurer, il faisait venir ses fidèles au teint bronzé et leur disait : « Mes enfants, le bon Dieu m’avertit qu’il doit donner ce soir ou demain un grand pilou[1]. Partez à la pêche pour qu’il ne manque de rien. » Et les canaques de partir, et lorsque la pêche n’était pas satisfaisante ou que le révérend avait à traiter ses collègues il gourmandait paternellement ses ouailles : « Vous oubliez, leur

  1. Pilou-pilou ou simplement pilou, grande solennité dansante, accompagnée de festins où jadis la viande humaine tenait la première place.