Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/58

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dénûment. Ses camarades ouvriers, flattés de voir un homme de plume parmi eux, lui donnèrent qui des souliers, qui un pantalon, qui une chemise. Ainsi réquipé, il se présenta comme comptable chez le mercanti Pinjon, fut agréé et, à force d’esprit retors, s’implanta associé. Dès ce jour, le vin, très mauvais, devint exécrable. Mourot, non content d’empoisonner les déportés, spéculait sur eux de toutes manières.

Il y perdit les sympathies, mais il y gagna de l’argent, ce qui lui fut une ample compensation. Quelques années après, il arriva au chef-lieu avec soixante mille francs si honnêtement gagnés, spécula sur les mines et finit, bien après l’amnistie, par retourner dans la vieille Europe les poches à peu près vides, ayant perdu, bu ou mangé son saint-frusquin. Prêt à tous les métiers, il tenta de flibuster l’un, faire chanter l’autre, réclamant même à Rochefort, qui l’envoya promener, ses appointements de secrétaire de rédaction, au prix de quinze cents francs par mois, pour toute la durée des onze ou douze ans qui s’étaient écoulés depuis la mort du journal ! Je le revis deux ou trois fois sans échanger avec lui plus de dix mots, courtoisement, du reste ; aussi, grande fut ma stupeur en apprenant, proscrit à Londres, que cet ex-empoisonneur, pressé de gagner un louis ou deux, avait bravement profité de mon éloignement pour bâtir sur moi une histoire tintamarresque. J’étais tout simplement représenté comme agent de Rothschild au fougueux directeur de la Libre Parole, qui voit l’ennemi juif jusque dans son vase de nuit, et cela avait permis de tirer deux ou trois numéros à grand fracas. La vengeance étant le plaisir non seulement des dieux mais même des hommes, je n’ai pu résister au