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Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/87

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Ce jour-là je m’en fus rendre visite à Venturini, que je n’ose appeler mon collègue, car il était du cadre métropolitain et moi du cadre colonial ; ce qui rendait sa politesse un peu anguleuse. La plupart des employés arrivant de France étaient ainsi : ils se considéraient comme fort supérieurs au personnel recruté sur place.

Cet antagonisme n’est pas le seul, beaucoup s’en faut, qui se manifeste dans un pays où toutes les situations sociales et toutes les races sont en présence. Le fonctionnaire tyrannise le colon, celui-ci combat ou exploite le libéré ; le blanc dédaigne le métis, qui méprise le Canaque indigène, lequel tient à l’écart le Néo-Hébridais, déteste l’Indien malabar et ne manifeste aucune affinité pour l’Arabe. Dans maints endroits, à Hienghène, par exemple, les Anglais étaient préférés aux Français : n’avaient-ils pas sur ceux-ci une grande supériorité, celle de n’être point les maîtres ? Il est présumable qu’en plus d’une tribu australienne, fidjienne ou maorie, les sympathies vont plutôt aux Oui-oui[1] qu’à John Bull.

Canala possédait deux grands monarques indigènes, rivaux d’influence, Gélima et Kaké, le premier sagace quoique résolu, le second qui avait, au physique comme au moral, toutes les allures d’un vieux sous-officier. Outre ces deux personnalités politiques, il en existait une troisième militaire, Nundo, le chef de guerre, mille fois plus féroce et plus ivrogne que Kaké. C’était un géant, de musculature herculéenne, à la figure épaisse et couturée de petite vérole, que surmontait une crinière rougie à la chaux, selon le procédé canaque pour

  1. Nom donné en maints endroits de l’Océanie, aux Français et que leur a valu leur tendance à répondre affirmativement même aux questions qu’ils ne comprenaient pas.