Page:Malato - La Grande Grève.djvu/116

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immondes auxquelles, la nuit, dans les cases, se livraient les forçats, les injures et les bourrades des surveillants. Pour arriver à la réalisation de son rêve, il n’était de bassesses qu’il ne fût prêt à commettre, de services qu’il n’eût rendus. Sur un signe du garde-chiourme, il se sentait prêt à dénoncer tout le bagne.

Tant d’humilité eut sa récompense et, un beau jour, le chef de camp lui dit :

— Numéro 4,203, demain vous partirez pour la Grande Terre.

La Grande Terre, c’était l’inconnu et peut-être l’Eldorado ! c’était Nouméa, Bourail, le Diahot, les concessions agricoles, les mines ! C’était, lui semblait-il, autre chose que la vie accablante et monotone de l’île Nou. Ses espérances allaient-elles commencer à se réaliser ?

Le lendemain, une chaloupe à vapeur débarquait à Nouméa un détachement de dix-huit condamnés, dont Bernin.

Celui-ci dévorait du regard la ville tout entière avec ses habitations blanches ombragées çà et là de flamboyants, sa place des Cocotiers, où se promenaient, indolentes, guettées par des soldats, des popinées revêtues de pagnes multicolores, tandis que dans les rues grillées du soleil flânaient des Canaques chantant en chœur une de leurs douces et traînantes mélopées.

Si médiocre que fût cette ville de deux mille habitants, elle lui paraissait un Éden à lui qui venait de l’île Nou. Il y avait là des femmes qui se vendaient, des établissements où l’on mangeait à sa faim, où l’on buvait à sa soif, des magasins où le libéré pouvait troquer l’ignoble livrée du bagne contre des vêtements civils ! Il avait entendu citer des noms d’anciens forçats devenus au chef-lieu commerçants et propriétaires. Qui sait si la destinée ne s’adoucirait pas pour lui !